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mais ils ne feront pas qu’ils n’aient point à défendre la Prusse contre l’Allemagne, au lieu de conduire l’Allemagne sous l’égide de la Prusse, comme ils s’en flattaient peut-être encore l’an dernier. Nous sommes très heureux de voir enfin Vienne délivrée du gouvernement puéril et des aveugles incartades de ses étudians, pour entrer dans la régularité des voies constitutionnelles ; mais nous ne savons absolument pas comment les habitudes et les souvenirs de l’ancien régime allemand pourront se concilier avec les exigences de cette majorité slave que le seul ressort des institutions démocratiques a tout de suite portée dans la diète. Quant à Francfort, nous ne pouvons dire qu’une chose, c’est que la diète et son vicaire n’ont de sanction réelle à leur autorité que dans la menace permanente d’une révolte populaire contre chacun des gouvernemens particuliers de l’Allemagne. Ou les gouvernemens qu’ils dépossèdent garderont rattachement de leurs peuples, et la diète ne sera point obéie, où elle sera obéie, et il y aura partout épuisement ou dissolution éclatante des gouvernemens séparés. Ni l’une ni l’autre de ces deux hypothèses n’est une garantie de force commune pour l’Allemagne en péril. Qui pourrait d’ailleurs assurer que l’Angleterre, jalouse de la concurrence maritime qu’on lui prépare sur la mer du Nord, ne maintiendra point par les armes l’avis qu’elle a donné dans l’affaire des duchés ? L’Angleterre souffre beaucoup en ce moment de sa plaie d’Irlande ; ce n’est pourtant pas l’Angleterre qui reculera devant les moyens énergiques, et nous doutons encore que le désespoir de la pauvre Irlande aille jamais jusqu’à nécessiter l’application en grand de pareils moyens. Que l’Allemagne ne l’oublie pas, l’Angleterre s’accorde pour l’heure avec la Russie à la cour de Copenhague comme dans les conseils du sultan, et la Prusse à Copenhague donne spontanément les mains aux conclusions de ses deux vieilles alliées. Que l’Allemagne avise !

Et nous aussi tachons enfin d’aviser, car tout ce vaste conflit diplomatique et militaire qui embrasse déjà la carte de l’Europe, c’est peut-être bien le commencement d’une partie jouée contre nous, sans avertissement préalable, par de rudes joueurs, qui voudront nous en imposer les frais. Sait-on même si l’Allemagne, domptée par la force, ou soulevée, ce qui serait pire, par l’injustice de ses propres passions, ne sera pas un instrument aux mains de ces ennemis que nous appréhendons en face de nous, un instrument peut-être volontaire ? Quoi qu’il en soit, nous ne sommes pas découragés. Quand nous envisageons ainsi la situation matérielle et morale de tous nos voisins, quand nous revenons ensuite sur nous-mêmes, c’est encore en nous que nous trouvons le plus de forces vives. L’époque est mauvaise, nous le confessons : il y a bien des esprits rétrécis, bien des caractères abaissés ; nous assistons à des palinodies étranges, à de pitoyables fantasmagories ; nous avons eu l’air, plus d’une fois déjà, d’un peuple qui s’abandonnait lui-même, et qui, n’ayant plus de goût à vivre, se laissait mourir de la mort qu’il plaisait au hasard. Chaque fois cependant, à peine avions-nous touché le fond de l’abîme, que nous remontions par une sorte de merveilleux élan : nous nous reprenions de grand cœur à respirer, à penser, à vouloir. Voilà quinze jours mieux employés qu’on n’en avait encore vu depuis longtemps. Le vote de l’emprunt et la rapidité avec laquelle il s’effectue, la loi sur les clubs et l’adhésion générale qui accueille ces mesures répressives, enfin le beau rapport dans lequel M. Thiers a fait si bonne justice des théories spoliatrices de M. Proudhon, tels sont les événemens peu nombreux de notre histoire Intérieure durant cette quinzaine. L’état de siège est pour beaucoup, sans