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un peu, comme on le voit, le Journal de Francfort, dépositaire de la note de M. de Nesselrode.

Reste enfin le nord de l’Europe, où l’autorité du cabinet de Pétersbourg, très sensible en tout temps, ne l’a jamais été comme aujourd’hui depuis les injustes exigences signifiées par l’Allemagne à la couronne de Danemark. Tandis que l’Allemagne est très mal défendue contre la Russie par ses acquisitions polonaises, la Russie est au contraire tout-à-fait bien gardée contre l’Allemagne par ses acquisitions d’origine germanique. La noblesse de Livonie et de Courlande n’a pas le moindre caprice d’indépendance, la moindre réminiscence de patriotisme national. Elle prodigue au czar les assurances de loyauté, les témoignages de dévouement. Elle a besoin d’être Russe pour garder ses paysans ; elle est Russe. Le Danemark et la Suède, poussés par le développement de leurs institutions libérales, allaient peut-être échapper plus ou moins à cet ascendant trop exclusif de la Russie ; c’est l’Allemagne elle-même qui les aura rejetés sous l’ombre de la protection moscovite. Le roi Oscar n’aurait pas mieux demandé que de suivre une politique différente de celle de Charles-Jean, et ces velléités avaient, dès son avènement, causé quelque inquiétude à Pétersbourg : le terrorisme teuton l’a étroitement uni au roi de Danemark, et tous deux savent que c’est l’intervention russe qui a fait vider le Jutland aux Prussiens. Il sera très intéressant de voir si le général Wrangel, qui, pour obéir à la diète de Francfort, prétend continuer la guerre malgré son souverain, sera mis en demeure de céder aux injonctions plus efficaces d’une cour étrangère. On dirait que l’Allemagne veut à toute force provoquer au combat le monde entier, qu’elle cherche où éprouver déjà cette unité dont elle est plus fière que sûre. Les doctes professeurs qui siègent à Francfort se brouillent en un même jour, sans qu’ils y aient de regret, avec la Hollande. pour le Limbourg, avec la Sardaigne pour Trieste, avec le Danemark pour les duchés, avec le Hanovre et la Prusse pour la gloire et l’empire. C’est une magnanimité trop superbe ; elle n’est point expérimentée. La circulaire de M. de Nesselrode, toute pacifique qu’elle affecte de paraître, pose à notre sens plus de cas de guerre sérieux qu’il n’en faut pour amener d’un moment à l’autre le dénomment de toutes ces bravades pédantesques. La Russie, d’après cette note du 6 juillet, n’attaquera point l’Allemagne malgré les mauvais sentimens de l’Allemagne à son égard, mais elle ne souffrira point qu’elle violente ses voisins, qu’elle étende sa circonscription territoriale ou sa compétence légitime au-delà des bornes fixées par les traités qui l’ont constituée. Dans les circonstances présentes, avec les ambitions avouées de l’assemblée de Francfort, avec les oppositions séparatistes qu’elle suscite déjà, ce manifeste russe acquiert la plus haute importance. C’est une alliance offerte à tous les intérêts et même à tous les droits lésés. C’est peut-être le premier symptôme officiel de cette entente que l’on nous annonce de Constantinople ; c’est le cas dont nous parlions tout à l’heure, le cas signalé d’avance, où la Russie, n’agissant plus seule en Europe, agirait enfin directement par ses armées, au lieu de travailler sous main, par sa diplomatie.

Ne nous y trompons pas, la résistance efficace, définitive, et, s’il plaît à Dieu, victorieuse, la résistance qui triomphera de cette grande coalition, elle n’est ni à Francfort, ni, à Berlin, ni à Vienne ; elle est en France. Nous souhaitons de toute notre ame les meilleures chances aux nouveaux ministres autrichiens et prussiens. M., Hansemann et M. Milde sont des hommes de talent et de vigueur,