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on a va toutefois, dans ces derniers temps, M. Persiani communiquer aux consuls russes placés sous ses ordres une circulaire dans laquelle on les exhortait à combattre de leur mieux pour la monarchie contre la révolution, à prendre en toute occasion parti décidé contre les perturbateurs de la paix publique et les ennemis de la royauté. Ce n’était pas le langage que la Russie tenait en 1843 ; mais l’effet en était sûr, quand les ministres grecs se trouvaient au même instant obligés de réclamer soit contre l’hospitalité que l’Angleterre accordait aux rebelles dans les îles Ioniennes, soit contre l’insolence des matelots anglais, qui ne voulaient plus débarquer sur une côte hellénique sans tirer leurs canons à terre et les monter où il leur plaisait. Aussi M. Persiani fait-il aujourd’hui bâtir une magnifique église pour ses nationaux juste en face du palais du roi.

À Constantinople, la conduite des Russes est plus curieuse encore à observer. Ils n’ont jamais, vis-à-vis du divan, ces exigences de détail dans lesquelles la France et l’Angleterre usent trop souvent leur crédit ; ils sont très coulans dans les petites choses, ils ne lâchent rien dans les grandes ; mais, tout en sachant être inflexibles pour celles-là, ils ne laissent pas d’être insinuans et polis, de flatter les Turcs, même quand ils leur commandent. M. Persiani n’est qu’un agent secondaire doué de cette qualité commune aux instrumens du cabinet de Pétersbourg ; une exactitude minutieuse dans la parfaite obéissance, dans une obéissance prête à tout. M. de Titow est un homme de beaucoup supérieur, et qui sait jouer avec talent en son nom le rôle qu’on lui confie. Les vicissitudes ministérielles qui ont opéré dernièrement dans l’intérieur du divan un va-et-vient si singulier étaient plus ou moins dirigées par les conseils russes. On eût bien voulu ruiner d’avance la position de notre nouveau ministre ; on avait prévenu les Turcs que la république française ne leur enverrait qu’un homme de peu. Les épaulettes du général ont été d’autant plus agréables à l’orgueil du divan ; une attitude honorable a fait le reste et vaincu tous les ombrages. La crainte de l’agitation révolutionnaire, qui avait contribué à jeter le sultan dans les bras des ennemis de la réforme, a contribué de même à l’en arracher. Les bruits de révolution universelle, parvenant jusqu’aux vieux Turcs, se traduisaient pour eux, surtout dans les provinces, en un espoir de réaction. Ils songeaient au temps des janissaires. L’agitation se fût ainsi montrée, non pas à la suite des idées de progrès, mais au service de l’ancien fanatisme. On parle même d’une recrudescence d’inimitié qui soulèverait presque les musulmans de la Roumélie contre les chrétiens et contre la charte de Gulhané. Le sultan a senti de la sorte tout l’inconvénient qu’il y avait à suivre trop religieusement la politique conservatrice des Russes ; mais ceux-ci avaient un moyen trop commode de rattacher la Turquie à leur influence, de l’entraîner dans la voie où il leur convenait de la garder avec eux. Ils sont entrés dans les principautés, et la Turquie, pour maintenir son droit de souveraineté en présence de cette démarche, qui le compromettait sous prétexte de l’affermir, la Turquie, condamnée à ne jamais faire ses affaires toute seule, est à son tour entrée comme entraient les Russes. Il y avait long-temps, d’ailleurs, qu’elle pouvait se tenir avertie et se préparer même à de pires occurrences. Dès le mois d’avril, la Russie retirait ses troupes du Caucase et les y remplaçait par des régimens de Cosaques chargés simplement de surveiller la frontière et d’occuper les forts ; elle amenait ainsi aux bouches du Dnieper vingt ou vingt-cinq mille de ses meilleurs soldats, que la flotte de la mer Noire pourrait en un instant porter encore ailleurs. Le divan,