Page:Revue des Deux Mondes - 1848 - tome 23.djvu/449

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

été belle, mais d’un autre genre de beauté ; certaines parties eussent peut-être été plus parfaites ; mais l’impression riante, la fougue d’imagination, mais cette sève, ce parfum, tout cet épanouissement de l’adolescence, les eussions nous retrouvés ?

Ce qui fait donc l’originalité de ce morceau, c’est qu’il a été inventé et ébauché il y a trente ans, peint et terminé hier. L’esquisse reléguée dans un coin de l’atelier voyait chaque année la recouvrir d’une nouvelle couche de poussière, et elle y serait peut-être encore sans les instances des amis de Mme Ingres et de M. Delessert en particulier, aujourd’hui possesseur du tableau, Sur leurs sollicitations réitérées, l’artiste se détermina à reprendre son travail si long-temps suspendu ; mais ce ne fut pas sans une répugnance aisée à comprendre. Il s’agissait, en effet, de retrouver les linéament fugitifs de sa pensée ancienne, et de conserver intact le jet poétique et pur de sa première inspiration. Tous ceux qui ont vu l’esquisse s’accordent à dire qu’il a réussi complètement. Le fini d’une exécution savante n’a en rien altéré la grâce antique de cette œuvre, qui semble empruntées quelque pierre gravée ou à quelque vase de Cornetto, tant on y sent partout la trace de l’art grec et comme un souffle de l’harmonieuse poésie d’Hésiode.

Ce poète a raconté dans sa Théogonie la naissance de Vénus, il l’a fait naître du sein de la mer, fécondée par Cœlus, et, après lui, cette fiction fut pendant long-temps reproduite par la peinture et la statuaire dans une donnée à peu près uniforme. Les plus anciens fragmens qui nous soient parvenus représentent la fille de la mer au moment où, sortant des ondes, elle essuie sa chevelure,

Secouant, vierge encor, les larmes de sa mère,
Et fécondant la terre en tordant ses cheveux.

Ses pieds réunis sont posés sur une coquille, et ses mains, relevées à droite et à gauche par un mouvement parfaitement symétrique, partagent ses cheveux en deux tresses égales ruisselant d’eau salée. Ce n’est que plus tard, lorsque la tradition s’est obscurcie et que l’art profane a défiguré les symboles, qu’on voit Vénus couchée dans une vaste conque en forme de nacelle poussée par les amours et voguant vers Cythère, son voile déployé au vent. Elle est ainsi représentée dans une fresque d’Herculanum, et c’est le type qu’ont imité la plupart des peintres modernes en traitant le même sujet. Cette déviation date, à ce qu’il paraît, surtout de l’époque romaine. Les Grecs ne s’écartèrent jamais complètement de la légende religieuse, et, tout en modifiant l’ordonnance du sujet, ils furent attentifs à lui conserver toujours son caractère religieux et symbolique. Il existe une copie sculptée d’un tableau attribué à Apelles, et que ce peintre fit pour Alexandre, où la naissance de Vénus est figurée au centre d’une composition de Persée et Andromède, absolument comme un tableau d’autel auquel les peintres rattachent quelque épisode de la vie d’un saint. Vénus, sous les traits d’une jeune fille de douze à quinze ans, est assise sur une conque, les bras relevés et la chevelure partagée, conformément à la formule consacrée. À droite et à gauche, deux tritons, vus de profil dans l’attitude de l’adoration, supportent cette conque ; leurs queues de poisson recourbées se redressent derrière leur dos, et, sur la nageoire qui les