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par les étrangers. Mégare, petite ville dorienne à trois lieues d’Athènes, lui disputait l’île de Salamine ; qu’on se figure la guerre entre Saint—Cloud et Saint-Germain pour la possession de Nanterre. Battus à plusieurs reprises, les Athéniens avaient rendu un décret qui défendait, sous peine de mort, de faire aucune motion pour reprendre Salamine. Les Athéniens n’aimaient pas les questions graves et sérieuses. Quelques années plus tard, ils mirent à l’amende un poète pour les avoir fait pleurer aux malheurs de l’Ionie, qu’ils ne voulaient pas secourir. De tout temps, on a vu des assemblées qui n’aimaient pas qu’on leur montrât une plaie saignante.

Solon contrefit l’insensé. Il composa un beau poème guerrier et le déclama en public. « J’ai honte d’être Athénien, disait-il, on me montre au doigt et l’on dit : Voilà un fuyard de Salamine. » Tyrtée, avec ses chansons, avait conduit les Spartiates à la victoire ; les vers de Solon n’eurent pas moins de succès. On lui donna cinq cents hommes, avec lesquels il conquit la patrie d’Ajax. Sa popularité devint immense ; tous les partis lui tendirent les bras et lui déférèrent de pleins pouvoirs pour réformer la république.

La première mesure qu’il décréta fut la Sisachthie. Je transcris, d’après M. Grote, ce mot terrible, qu’il emploie hardiment comme si tout le monde pouvait le comprendre et le prononcer. Sisachthie veut dire dégrèvement. 11 s’agissait de soulager l’effroyable misère de la plèbe athénienne. L’ancienne loi permettait d’emprunter sur son corps et celui de ses enfans, et, faute de payer sa dette, on devenait l’esclave de son créancier. Solon abolit esclavage pour dettes, et du même coup changea la valeur de la monnaie, de telle sorte que celui qui avait emprunté 100 drachmes se libérait en en payant 75. On voit que la Sisachthie ressemble fort à une banqueroute. Suivant M. Grote, ce fut une transaction nécessaire entre une tyrannie aux abois et une insurrection imminente. Solon, le premier, donna l’exemple du sacrifice en renonçant à de nombreuses créances. Il faut considérer, d’ailleurs, qu’une loi qui autorise le prêteur à faire un esclave de son débiteur insolvable tend à créer une espèce de prêt infâme. On avance de l’argent dans la prévision que l’emprunteur ne pourra le rendre, et l’on calcule que sa personne vaut plus que l’argent prêté. C’était, au fond, la traite que Solon abolissait, et, en détruisant un trafic odieux, il achetait la paix publique. Cette mesure, qui d’abord lui attira l’inimitié de tous les riches, trouva dans la suite une approbation générale, lorsqu’on vit qu’elle résolvait pour toujours une question qui, sans cesse, menaçait d’allumer la guerre civile. Chose étrange, jamais on n’eut besoin, dans la suite, de renouveler la Sisachthie de Solon. La question des dettes ne reparaît plus dans l’histoire politique d’Athènes, et, si le souvenir des tables de Solon se perpétua, ce ne fut que pour