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contentait pas d’opprimer ses anciens maîtres, les Doriens ; il voulait les flétrir tous. Au lieu des noms glorieux de leurs tribus, qui rappelaient ceux de leurs anciens héros, Clisthènes leur en imposa de son choix. Savez-vous lesquels ? Les sangliers, les porcs, les ânes. Cependant plusieurs de ces despotes furent des hommes de génie. Un d’eux, Périandre, tyran de Corinthe, mérita d’être compté parmi les sept sages. Ce régime despotique ne pouvait durer, et rarement la tyrannie se transmettait de père en fils. Une réaction eut bientôt lieu, et la destruction de la tyrannie entraîna presque partout celle de l’oligarchie, déjà décimée et ruinée par les despotes, contrainte d’ailleurs, pour se sauver, de faire de grands sacrifices au peuple qu’elle appelait à la liberté. Cependant l’établissement des gouvernemens démocratiques ne s’opéra point en Grèce par des secousses brusques et violentes, mais plutôt par des transitions lentes et graduées. M. Grote a exposé de la manière la plus complète et la plus intéressante le mouvement progressif des institutions politiques dans Athènes. Il fait assister successivement le lecteur à la constitution de Solon, à l’usurpation de Pisistrate, enfin à la réforme décisive de Clisthènes, moins célèbre que Solon, mais à qui revient à bon droit l’honneur d’avoir fondé un gouvernement populaire qui dura trois siècles. Nous ne sommes plus au temps. Dieu merci, où, certain lundi, un législateur écrivait ces lignes célèbres à un bibliothécaire : « Mon cher ami, envoyez-moi les lois de Minos ; j’ai une constitution à faire pour jeudi. » Cependant l’esprit humain est si peu inventif, et nous avons fait tant d’emprunts aux Grecs, que c’est rendre service peut-être à nos représentans que de leur indiquer un livre où sont analysés avec une scrupuleuse exactitude et une rare clarté les systèmes politiques de plusieurs républiques, qui ont fonctionné, comme on dit aujourd’hui, avec plus de gloire qu’aucun état moderne n’en oserait se promettre. Je recommande le troisième et le quatrième volume de M. Grote aux méditations de tous nos hommes d’état.

Solon appartient à l’époque historique, mais il touche de près à celle des héros et des dieux. Arrière-petit-fils de Codrus, voire de Neptune, poète, savant, guerrier, il réunissait toutes les qualités homériques d’un pasteur de peuples : aussi ses amis lui conseillaient-ils de se faire tyran, c’est-à-dire d’enrôler une centaine de coupe-jarrets thraces et de se saisir de l’Acropole ; mais Solon ambitionnait une gloire plus haute et plus pure. Il voulut laisser après lui une réputation sans tache et une œuvre durable, problème qu’aucun despote n’a pu résoudre encore. Avant lui, tout le pouvoir politique résidait dans un petit nombre de familles nobles, qu’on appelait les Eupatrides, c’est-à-dire ceux qui ont de bons ancêtres. Le gouvernement de ces Eupatrides était fort pesant pour la masse du peuple, comme il semble. Ils vendaient la justice, accaparaient toutes les terres, prêtaient à usure, et se faisaient battre