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l’empereur Ferdinand Ier à Vienne s’appeler à Pesth Ferdinand V. Il serait trop long d’énumérer toutes les singularités qui découlent en Hongrie de cette unique cause, une royauté étrangère et absente.

La défaite de Mohacz laissait la Hongrie dans un état désespéré. Bude était au pouvoir des Turcs, Vienne investie par Soliman, le pays tout entier livré à la ruine et à la servitude. Quelques seigneurs réunis à Neutra élurent pour roi Jean Zapolya, waïvode de Transylvanie : la reine et les autres seigneurs proclamèrent à Presbourg Ferdinand Ier, archiduc d’Autriche, frère de Charles-Quint, qui devait lui succéder comme empereur. Ferdinand négocia et se battit successivement avec les Turcs et avec son compétiteur ; il fut enfin élu et couronné roi de Hongrie dans une diète générale, qui déclara le waïvode Zapolya traître à la patrie, à cause de son alliance avec les Turcs. Soliman n’en continua pas moins à occuper toute la Hongrie inférieure. Il y eut des pachas turcs à Temeswar, à Bude, et cet état de choses se maintint jusqu’à la levée du siège de Vienne sous Léopold (1683). La Hongrie supérieure seulement et les comitats voisins de Vienne appartinrent aux princes de la maison d’Autriche.

La première collection officielle, le code des lois et libertés de la Hongrie, date pourtant de cette époque si funeste à l’indépendance du royaume. Chaque jour, les nécessités qu’avait amenées la domination étrangère faisaient sentir plus vivement à la noblesse hongroise le besoin de voir réunis dans un seul corps d’ouvrage les constitutions et privilèges de ses anciens rois. Il n’en existait alors qu’un petit nombre de copies, altérées, souvent oubliées ou perdues. L’évêque de Neutra, Mossoczy, aidé de seize jurisconsultes, réunit, sous Rodolphe et Maximilien, vers 1580, tous les décrets et constitutions des rois de Hongrie depuis saint Étienne jusqu’à cette époque ; c’est la partie principale du Corpus juris hungarici, auquel sont venus s’adjoindre successivement les décrets rendus par les diètes postérieures. Déjà cependant, en 1514, le soin de composer un corps général de droit public avait été confié par les états à un jurisconsulte éminent, nommé Verbôczy ; son ouvrage, connu sous le nom de Opus tripartitum, parce qu’il se divise en trois parties, est resté le fondement solide et respecté de toute la jurisprudence hongroise. Confirmé successivement par toutes les diètes, il est encore enseigné dans les écoles, et à force de loi devant les tribunaux[1].

  1. Verbôczy le Tribonien et l’Ulpien hongrois, comme l’appellent ses compatriotes, joua un rôle important dans sa patrie au commencement du XVIe siècle. Il termina une vie politique très agitée à Bude, alors placée sous la domination des Turcs. Le pacha lui confia le soin de rendre la justice aux chrétiens, et on acceptait même son jugement dans les causes où les Turcs se trouvaient mêlés, tant était grande sa réputation de justice et d’habileté. Il mourut en 1542 et fut enterré dans les honneurs de la sépulture chrétienne dans le cimetière des Juifs. Sa fille Elisabeth fut mariée à un des comtes d’Aspremont, dont l’héritier épousa plus tard la sœur du prince Ràkoczy. La maison d’Autriche voyait alors se perpétuer contre elle comme des dynasties de conspirateurs. Pour ceux qui croient à certaines prédestinations, on peut remarquer le nom de la mère de Verboczy, Apollonia Deack de Deack Falva, ce qui ferait supposer quelque parenté entre sa famille et le député Deack, chef de l’opposition dans les dernières diètes, aujourd’hui ministre du palatin.