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l’autre passe sous la domination des empereurs, et, après une résistance opiniâtre dont les épisodes sont d’héroïques romans, la Hongrie, acceptant des maîtres étrangers, s’ensevelit dans l’histoire et la monarchie autrichiennes. Rien d’étonnant donc si cette funeste journée, marquée d’ailleurs de tant de sang, n’est plus sortie de la mémoire des Hongrois. En descendant le Danube, vous entendez les pêcheurs et les bergers du rivage chanter, sur des notes graves et plaintives, la complainte de la bataille de Mohacz. Au milieu des révolutions sans nombre qui ont ensanglanté ces bords, le peuple hongrois ne s’est point mépris sur le coup qui l’avait frappé au cœur.

Le système de la royauté élective avait porté ses fruits : quelques grands hommes, Jean Huniade, Mathias Corvin, des prétendans nombreux, des guerres civiles, la ruine, la sédition, des confédérations secrètes dans l’état, et l’étranger fondant ses projets de conquête sur le malheur de tous ! La Transylvanie s’était déjà détachée du royaume. En face du jeune et faible Louis II, élu à la diète de Râkos, était Soliman et une innombrable armée ; derrière le malheureux prince se tenait l’archiduc Ferdinand d’Autriche, prêt à envahir la Hongrie plutôt qu’à la secourir. Louis s’efforça vainement d’intéresser la chrétienté au succès de sa cause et de l’armer contre l’ennemi commun. Il envoya des ambassades en Pologne, en France, à Venise, au souverain pontife, à l’empereur même ; il ne reçut que de stériles promesses, et la Hongrie fut abandonnée à sa destinée.

C’était au mois d’août 1526 ; Soliman s’était emparé de Belgrade, de Peterwardein, et, s’avançant le long du Danube, menaçait déjà la capitale. Louis l’attendit auprès du fleuve, dans la plaine marécageuse de Mohacz ; il ne se faisait aucune illusion. En vain il avait convoqué diète sur diète pour rassembler une armée capable d’arrêter les Turcs : l’esprit de discorde et de faction avait ruiné tous les ressorts du royaume. L’oisiveté, la débauche, avaient amolli les courages ; on s’étourdissait dans les festins, on s’enfermait dans les châteaux, tandis que l’ennemi gagnait le cœur du pays ; la noblesse ne voulait plus combattre que dans le voisinage de ses domaines ; chacun s’abandonnait à un lâche égoïsme. On voyait la catastrophe approcher, et les signes précurseurs ne trompaient personne.

La liste déplorable des évêques et des capitaines qui périrent dans la bataille de Mohacz montre assez cependant qu’au dernier moment cette veine de courage qui est au cœur hongrois s’était retrouvée. Louis avait fait promener dans les comitats, selon l’antique usage de la nation, un sabre ensanglanté, terrible et suprême appel aux armes pour la défense de la patrie. Environ trente mille hommes s’étaient réunis autour du roi. L’armée hongroise avait pour généralissime Paul