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les avantages que son gouvernement retirait de l’unité de sa population, disait dans le même esprit : « Mes peuples sont étrangers l’un à l’autre, c’est pour le mieux ; ils ne prennent pas les mêmes maladies en même temps ; je me sers des uns pour contenir les autres ; je mets des Hongrois en Italie, des Bohèmes ou des Italiens en Hongrie ; chacun garde son voisin. Au contraire, vous, quand la fièvre vient, l’accès vous prend tous, et le même jour. »

Les établissemens de saint Étienne ont de tout temps excité l’admiration des historiens nationaux ; les monumens qui en restent permettent de se former une idée assez exacte des principales dispositions de ses lois. La religion et le clergé, la guerre et les hommes d’armes, occupaient le premier rang dans la société que fondait le roi nouveau chrétien : c’est l’ordre nécessaire de toute société naissante ; elle a besoin, pour se développer, pour se dégager du sein de la barbarie, de l’idée morale et religieuse, et aussi d’une force disciplinée au service de cette idée. C’est ainsi qu’elle se défend contre les agressions des barbares qui l’environnent et les instincts égoïstes et brutaux qui n’ont pas encore accepté sa loi nouvelle ; rien de plus naturel donc que cette alliance, que nous retrouvons à l’origine de toute histoire, entre le clergé et les gens de guerre, entre la croix et l’épée. Cette alliance est dans les nécessités de notre nature, portée également à faire prévaloir son droit par la force et à faire sanctionner sa force par le droit.

Saint Étienne plaça le clergé et les chefs qui l’avaient aidé à conquérir ou à pacifier le pays à la tête du gouvernement. La division fondamentale de vainqueurs et de vaincus, de la race conquérante et de la race soumise, telle qu’elle s’était déjà faite et établie d’elle-même sous le chef Arpad, ne fut point altérée d’ailleurs par ses règlement. C’était uniquement la nation, ou, si l’on veut, l’armée victorieuse, dont on organisait les cadres et la hiérarchie. Les principaux capitaines et les gouverneurs des provinces formèrent une sorte de sénat [magnum concilium regis), appelé à prendre part aux affaires du royaume. Après eux venaient les officiers et les nobles d’armes, qu’on assemblait aussi, dans les grandes occasions, pour recueillir leurs avis. Le royaume fut divisé en dix diocèses et soixante-dix circonscriptions administratives, nommées cercles ou camps (castra). Chacun de ces cercles reçut une administration indépendante : un gouverneur-général (comes supremus) fut placé à la tête de chaque circonscription et investi de tous les pouvoirs militaires, civils et judiciaires, dont la concentration était nécessaire à une époque de barbarie et de guerre. Ces cercles formèrent et forment encore, sous le nom de comitats, des centres énergiques d’action, de vraies communes, mais avec des proportions plus étendues que dans les autres pays de l’Europe. La division en comitats constitue un des élémens particuliers de la vitalité politique du pays ; elle est très