Page:Revue des Deux Mondes - 1848 - tome 23.djvu/409

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

a donc quelque intérêt, intérêt d’un genre sérieux, j’en préviens, à suivre les révolutions diverses qui ont passé sur la constitution de la Hongrie sans la renverser encore ; cette constitution est restée debout, victorieuse même, quand la Hongrie était asservie. Un monument qui à huit siècles de durée, qui n’a jamais été abandonné, et qui sert encore de demeure à une grande nation, mérite bien qu’on le visite avec quelque respect et qu’on perde une heure au milieu de ses ruines vénérables.


I

Les Hongrois paraissent en Europe à la fin du IXe siècle. Ils entrent en Hongrie vers 900. La tradition n’a pas cherché à déguiser l’origine d’une souveraineté qui s’est exercée ouvertement jusqu’à nos jours au nom de la conquête. Ils envoient, disent les anciennes chroniques, un messager explorer les vastes plaines entre le Danube et la Theiss : le messager rapporte un vase de l’eau du Danube, une gerbe de foin, une motte de terre. C’est ainsi que les conquérans se mettent en possession de la terre, de l’eau et des pâturages[1]. À l’heure qu’il est, ces signes servent encore de symboles, et sont nécessaires en Hongrie à la transmission de la propriété.

Le chef des Hongrois, Arpad, s’établit définitivement dans le pays. Un siècle après, saint Étienne se convertit au christianisme, et reçut du pape Sylvestre II, avec le titre de roi, la couronne d’or, qui sert encore au sacre de ses successeurs actuels, relique plus authentique que la sainte ampoule, surtout plus vénérée, à la garde de laquelle veille nuit et jour dans la citadelle de Bude un bataillon de la garde noble. Sans l’imposition de cette couronne, les publicistes hongrois estiment que la royauté n’est qu’imparfaite et précaire[2].

Saint Étienne est le Clovis et le Charlemagne de la Hongrie. C’est à lui que remonte tout ce qui existe aujourd’hui : à travers les invasions des Tartares au XIIIe siècle, les conquêtes des Turcs, les guerres contre la maison d’Autriche, les institutions de ce grand roi sont restées, non pas intactes sans doute, mais debout. Il les avait établies sur le seul fondement solide de toute législation, sur le génie national.

Saint Étienne regardait la diversité des populations soumises à ses lois comme une force pour l’autorité royale. Ce principe, si contraire à nos idées d’unité et de centralisation, a passé comme une tradition de gouvernement aux derniers successeurs de saint Étienne ; l’empereur François II, répondant à un ambassadeur de France qui lui vantait

  1. Historia septem ducum, anonymi Belœjregis notarii, cap. 5 et 6.
  2. Les décrets de Joseph II, par exemple, qui n’a, jamais porté cette couronne, ne figurent pas dans le code des lois.