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de Trajan, puisqu’elle a donné un jour à la Hongrie deux grands hommes, Jean Huniade et le roi Mathias Corvin.

Nommons seulement les Grecs, les Arméniens à la robe traînante, les Italiens et les Croates, les Juifs, plus méprisés ici et plus utiles que partout ailleurs, tous ayant gardé leurs costumes et leur langue. N’oublions pas les Français qui, à l’époque de Marie-Thérèse, vinrent de la Lorraine et de la Champagne s’établir dans le Banat, et y fondèrent les villages de Charleville, de Saint-Hubert, et quelques autres dont les noms attirent aussitôt l’attention d’un compatriote. Enfin, au dernier degré de l’échelle sociale, se présentent les Bohémiens ou Zingares, race ennemie et mystérieuse, répandue au milieu des populations qui l’exècrent, et avec lesquelles elle a accepté la guerre, ils vivent à l’entrée des villages, repoussés et maudits, comme aux Indes les parias, dont la tradition les fait descendre, dans de misérables cabanes enterrées à moitié sous le sol, leur langue est inconnue, leurs mœurs hors des lois morales. Le vol, la magie, la musique, les métiers de forgerons, d’équarrisseurs de botes, ou de bourreaux, telle est leur industrie héréditaire[1]. Entre cette race misérable et le brillant cavalier magyar dont nous parlions tout à l’heure, nous avons parcouru toute l’échelle de la race humaine ; plus bas, l’homme finirait.

La Hongrie fut la première station des barbares qui envahirent l’Europe moderne, le premier réservoir où l’invasion, le déluge, comme on l’appelle, vint déposer les couches successives de son limon. Dans les siècles suivans, les invasions des Turcs, des Tartares, des Polonais, des Allemands, le passage des pèlerins aux temps des croisades, ajoutèrent encore de nouveaux élémens à cette population si variée ; mais chacun garda sa langue, ses mœurs, souvent son organisation particulière. Ainsi, les communes saxonnes du Banat et de Transylvanie (sedes saxonicæ), colonies fondées par l’esprit calviniste et républicain au XVIe siècle, ont rejeté toute espèce de noblesse : l’élection des magistrats s’y fait par le suffrage universel. Ces villages de bourgeois républicains, dont l’industrie rappelle les communes florissantes du moyen-âge, sont semés çà et là, au milieu des Szeklers, rejetons des premiers conquérans du pays, tous nobles et guerriers, organisés comme en un camp sur la frontière.

Si nous pouvions regarder enfin dans l’intérieur de ces hommes si différens de figure et d’aspect, nous trouverions la même variété. Les religions les plus diverses se partagent les populations que nous venons d’énumérer ; toutes les communions chrétiennes, — catholiques, luthériens, calvinistes, — y ont leurs représentans ; les Grecs unis et du rite oriental y occupent une large place ; les Juifs, les anabaptistes, quelques

  1. Voyez Greellman, Histoire ded Bohémiens, préface et chap. xiv.