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les malades et de la charpie pour les blessures. Soyez alchimistes tant que vous voudrez.

— Votre chaleur me fait sourire, reprit Arnaud, qui ne sourcillait et ne se troublait pas, tant il était sûr de lui-même. Vous négligez toutefois de m’apprendre, grand orateur, comment vous vous y prendriez pour renouveler le cours des idées et guérir les esprits malades, si, au lieu d’être un contemplateur et un méditatif, vous teniez les affaires publiques entre vos mains ?

— Mon cher Arnaud, je ne possède point les panacées sociales, cette pharmacie est de votre ressort ; mais enfin, si j’avais à faire quelque chose, si j’y étais forcé, ce qu’à Dieu ne plaise, voici à peu près ce que je tâcherais d’effectuer. J’observerais de mon mieux quelles sont les grandes sources des douleurs publiques, et je m’appliquerais résolument à les tarir. Après avoir combattu la misère des hommes de labeur par des moyens analogues à ceux que j’ai indiqués, après avoir assaini leurs maisons et assuré leur bien-être en encourageant leur moralité, je voudrais replacer l’agriculture dans son lustre, et ranimer la sainte humanité dans les cœurs, non pas l’humanité qui s’adore elle-même, mais l’humanité charitable envers le prochain. Je tâcherais surtout de combattre et de détruire certains préjugés absurdes en faveur des professions dites libérales. Non-seulement ces professions, qui nous donnent plus de médecins que de malades, plus d’avocats que de procès, plus de commis que de places, plus de feuilletonistes que de lecteurs, plus de peintres que de portraits, plus de musiciens que d’instrument, absorbent une trop grande proportion des forces nationales, mais elles accroissent la centralisation parisienne, déjà excessive ; elles enfièvrent les âmes, elles aigrissent les esprits, elles créent des populations de mécontens et dépravent les intelligences. Les vanités sont plus féroces que les appétits.

— Tout cela me semble vrai ; c’est précisément pour détruire ces vices que je prêche ; un jour, nous n’aurons plus ni amour-propre ni personnalité. Vous qui les admettez, comment vous y prendrez-vous ? Vous ne le savez guère. Quand on vous demande des remèdes, vous offrez des sermons, et en cela vous ressemblez à tous les contemplatifs.

— De grâce, ne riez pas des contemplatifs ; ce sont gens utiles au milieu d’un monde qui s’enivre d’actions précipitées et de mouvemens irréfléchis. Il est honorable d’abjurer l’ambition personnelle dans cet immense chaos de vanités frénétiques, dans ce mouvement rénovateur qui allume tous les prurits de popularité et crée autant de maîtres imaginaires et de dominateurs chimériques qu’il y a d’individus dans l’état. Jamais les nations fortes ne se sont insurgées contre les leçons de l’expérience. Les Anglais ont eu Burke, Elliott, Paley, Milton et Bentham ; les Américains du Nord ont écouté religieusement Franklin, Jefferson,