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possède encore quelques-unes de ces fortes qualités de la jeunesse, si rares aujourd’hui dans la vieille Europe, une île dont la fertilité sans mesure suffisait, il y a dix-huit cents ans, à la subsistance de la capitale du genre humain. Cette île est jetée entre Malte et Gibraltar, à trois jours d’un côté, à trente-six heures de l’autre des escadres et des garnisons anglaises. Elle a servi, pendant toutes les guerres de l’empire, de refuge et d’arsenal à Nelson. L’Angleterre s’est chargée elle-même, il y a trente ans, de lui donner une constitution, qu’elle a prise sous sa garantie. Depuis ce temps, le commerce anglais n’a pas cessé d’y multiplier ses établissemens, et les agens anglais de les protéger avec ces façons impérieuses qui annoncent et préparent la domination future. Quand, au mois de janvier dernier, cette île s’est mise en insurrection contre son souverain, aussitôt les escadres anglaises y sont accourues, et l’envoyé britannique a pris l’insurrection, en quelque sorte, à son compte, et s’est porté comme unique et souverain médiateur. La médiation a abouti à l’indépendance, déclarée huit jours après la révolution de février. Trois mois après, l’indépendance s’est transformée en royauté pour le second fils de Charles-Albert, proclamée au son du canon des vaisseaux anglais. Notre gouvernement n’a rien dit, rien fait. M. de Lamartine a déclaré que la Sicile se vengerait ainsi de son long asservissement à la maison de Bourbon. Il n’y a rien à dire assurément contre un pareil motif. Il est fâcheux seulement que l’événement ne soit pas arrivé trois ans plus tôt. Je suis sûr que, pour avoir la reconnaissance de la Sicile indépendante, l’Angleterre nous aurait tenu quittes à meilleur compte encore du droit de visite et de l’indemnité Pritchard.

« Après dix-huit ans de règne (disait M. de Lamartine dans la séance du 8 mai dernier) et d’une diplomatie que l’on croyait habile parce qu’elle était intéressée, la dynastie remettait la France à la république plus cernée, plus garrottée de traités et de limites, plus incapable de mouvement, plus dénuée d’influence et de négociation extérieure, plus entourée de pièges et d’impossibilités qu’elle ne le fut à aucune époque de la monarchie, emprisonnée dans la lettre, si souvent violée contre elle, des traités de 1815 ; exclue de tout l’Orient, complice de l’Autriche en Italie et en Suisse, complaisante de l’Angleterre à Lisbonne, compromise sans avantage à Madrid, obséquieuse à Vienne, timide à Berlin, haïe à Saint-Pétersbourg, discréditée pour son peu de foi à Londres, désertée des peuples pour son abandon du principe démocratique ; en face d’une coalition morale ralliée partout contre la France, et qui ne lui laissait le choix qu’entre une guerre extrême d’un contre tous ou l’acceptation d’un rôle subalterne de puissance secondaire en surveillance dans le monde européen, condamnée à languir et à s’humilier