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armée des Alpes. Il n’importe : nous ne nous sommes pas rebutés pour si peu. Faute de mieux, on a retenu nos soldats au pied des monts, qu’on ne pouvait leur faire franchir, pour y entendre de loin l’écho des victoires de Charles-Albert. Ils y sont encore, prêts à une intervention conditionnelle, c’est-à-dire en quelque sorte aux ordres et à la discrétion de l’Italie, qui n’en veut pas, qui les éloigne, mais qui, en cas de revers, aurait le droit de les faire marcher au moindre signe. Vainqueurs, les Italiens se passeront de nous, et ne nous devront même pas de reconnaissance ; vaincus, ils nous appelleront à partager leurs défaites. Nous leur laissons à la fois et la force morale que donne une armée française sur leurs derrières et la bonne grâce d’avoir fait leurs affaires tout seuls et de nous avoir cavalièrement remerciés de nos services. Quelle situation pour une armée qui campe à cinquante lieues de Marengo et sous le drapeau tricolore ! Quand a-t-on jamais vu une grande nation mettre sa liberté d’action au hasard d’une guerre qu’elle n’a pas engagée, qu’elle ne dirige pas, qu’elle ne peut ni arrêter ni faire marcher à son gré, et dont elle n’attend ni gloire ni profit ? Nous avons en quelque sorte ouvert un compte à la maison de Savoie pour une entreprise dont nous lui laissons les bénéfices et dont nous lui garantissons les pertes. Faut-il donc rappeler à nos nouveaux diplomates que ce n’est point ainsi qu’on manie l’arme extrême et redoutable d’une intervention ? La difficulté principale d’une politique d’intervention, c’est précisément de rester maître de ses actions et de ne pas passer au service des fantaisies, comme de ne pas porter la responsabilité des fautes de la puissance qu’on vient secourir ; c’est de faire ce que l’on veut et non pas ce que d’autres veulent. Si la France trouve qu’il y va de son intérêt ou de son honneur de finir au plus tôt la guerre d’Italie par la défaite complète des Autrichiens, qu’elle intervienne à son jour, à son heure, sans demander, sans attendre la permission de personne. Si elle pense, au contraire, que l’entreprise des Italiens, à jamais honorable pour eux, digne de toutes nos sympathies et conciliable avec tous nos intérêts, n’est pourtant pas, dans les termes où on l’a laissé s’engager, une affaire qui nous touche personnellement assez pour exiger, par une nécessité impérieuse, le sacrifice du sang français ; si elle pense que, pour avoir droit à nos secours, les Italiens devraient ou les payer de quelque retour, ou les demander au moins avec quelque insistance, qu’elle se tienne sur la réserve, qu’elle ne prodigue pas les promesses et les avances, qu’elle s’arrange pour faire ses conditions le jour où le besoin forcera de la venir chercher, qu’elle demeure ce qu’une grande nation doit toujours être, maîtresse de ses hommes, de ses trésors et de ses canons. Mais donner à un gouvernement quelconque, pour une échéance indéterminée, un billet à vue