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n’eût osé concevoir l’espérance. Que si l’on dit qu’après la France toutes les puissances aussi eussent voulu se mêler des affaires d’Allemagne et d’Italie, et que nous retombions ainsi dans les congrès, il n’y a rien là qui doive effrayer. Quelque mal qu’on puisse dire des conférences et des protocoles, il semble tout naturel que, là où tout le monde est intéressé, tout le monde intervienne. On ne voit pas ce que chaque nation et encore moins la civilisation générale peuvent gagner à ce que les peuples fassent leurs affaires à eux seuls, sans regarder à droite ni à gauche, à ce qu’il s’opère par conséquent, entre eux, une sorte de séparation sauvage, qui les mène infailliblement à de brusques conflits, comme des vaisseaux perdus dans la nuit et qui poussent leur pointe à l’aventure. Prévenir d’avance les difficultés, combiner les intérêts, éviter les frottement, cela me paraît infiniment préférable à ce système de non-intervention absolue dont le résultat définitif est que les hommes s’ignorent jusqu’à ce qu’ils se heurtent. Le savant mécanisme de l’équilibre européen, qui établit comme une police supérieure planant sur tous les états, me paraît, en fait de fédération continentale, de fraternité humaine et de garantie de la paix perpétuelle, ce que nous aurons de mieux jusqu’à la terre promise des espérances démocratiques. Dans le cas actuel, en particulier, une intervention générale de l’Europe pour régler, de concert avec les peuples intéressés, les grandes questions de territoire, n’avait rien que de légitime, ce me semble, et surtout rien que de favorable à la France.

Dans une pareille intervention, quel n’eût pas été le rôle de la France ! Placée entre ce qui peut rester en Europe de défenseurs obstinés des vieux systèmes de politique et les droits récemment conquis par le généreux effort des peuples, tempérant, contenant les uns par les autres, elle eût véritablement tenu entre ses mains la nouvelle balance du continent, elle en eût véritablement dessiné la nouvelle carte. J’en appelle à tous ceux qui ont médité sur les destinées de notre pays. Cette noble tâche de médiateur entre les révolutions inévitables qui grondaient depuis si long-temps, sous le sol miné de l’Europe, et l’ancienne diplomatie, n’était-ce pas ce qu’ils avaient toujours rêvé pour la France ? Ne leur semblait-il pas qu’elle y était prédestinée, et qu’elle n’avait, pour atteindre cette position dominante, qu’à se laisser porter par le flot des idées nouvelles, qu’on sentait chaque jour monter et s’entasser contre leurs digues ? Oui, j’ose l’affirmer, ils avaient toujours prévu qu’un jour viendrait où, sans impatience, sans provocation de notre part, les traités de 1815 tomberaient d’eux-mêmes devant le soulèvement irrésistible des peuples. Ils espéraient que, ce jour-là, la France, remise de ses souffrances révolutionnaires, offrant, dans son propre sein, le modèle de tout ce qui lui manque encore : un pouvoir régulier et une liberté décente, forte de trente ans de prospérité