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dédaigner, tels que, par exemple, un peu de sécurité pour les personnes quand elles traversent nos contrées, et pour les capitaux quand il leur prend fantaisie de s’établir parmi nous. C’est là un genre de propagande dont la monarchie constitutionnelle s’était bien trouvée pendant trente-quatre ans, puisqu’au moment où elle est tombée, toute l’Europe était à l’œuvre pour nous emprunter cette forme de gouvernement. On ne peut trop le recommander à la république, si, au dedans comme au dehors, elle veut faire œuvre qui dure.

Je crois donc qu’il est prudent, avant de s’abandonner aux mêmes félicitations enthousiastes que les journaux du parti dominant, d’attendre un peu pour voir clair et à nos portes et chez nous-mêmes. Mais enfin je suppose et j’espère que partout les principes d’une démocratie sage et d’une liberté véritable prévaudront et sur les derniers efforts du pouvoir absolu et sur le chaos soulevé des élémens de désordre. Je suppose et j’espère que, sous une forme ou sous une autre, les trois quarts au moins du continent européen seront, d’ici à un ou deux ans, soumis au même régime. Ce sera, sans doute, un grand honneur pour la France d’avoir donné un modèle que tous les autres pays auront imité : ce sera aussi un grand péril de moins que de n’avoir plus à craindre la coalition des puissances absolues ; mais n’y a-t-il pas un revers à cette médaille ?

Quand les principes de la révolution française auront triomphé partout, ou à peu près partout en Europe, ils ne seront plus, il est vrai, une faiblesse pour nous ; mais ils cesseront aussi d’être une force. Répandus sur tous les points, ce seront des qualités égales qui s’annuleront de part et d’autre. La sainte alliance des souverains sera dissoute ; l’alliance habituelle des états libres aura cessé du même coup. Chacun retournera à ses intérêts, à ses passions, à ses répugnances naturelles. Si cette considération est véritable, et nous pensons qu’elle doit frapper tout esprit sensé, il s’ensuit, par une conséquence évidente, que d’ici à peu de temps les questions de territoire, d’intérêts commerciaux, de force politique, d’équilibre matériel, en un mot, toutes celles qui ne paraissent pas avoir préoccupé jusqu’ici notre nouveau gouvernement, primées, depuis cinquante ans, par les questions de principes, vont reprendre la première place. Dès que l’Europe pourra se rasseoir et reprendre haleine, nous assisterons probablement à quelque chose d’analogue à ce qui se passa, il y a juste deux cents ans, à la paix de Westphalie. Alors aussi, pendant plus d’un demi-siècle, l’Europe avait été déchirée par des questions de principes et, qui plus est, de conscience. On ne faisait plus que des guerres de religion : le monde se divisait en protestans et catholiques ; mais le jour où, par l’épée de Gustave, la réforme eut définitivement conquis droit de bourgeoisie en Europe, la religion, n’étant plus en cause, recula sur le second plan, et les puissances,