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de cette cause un prix inestimable, j’hésite à considérer comme autant de victoires remportées par elle toutes les révoltes populaires, quels que soient leur but et leur théâtre. On sait trop, par notre propre expérience, ce que les mouvemens révolutionnaires peuvent coûter à la liberté même qu’ils prétendent servir, et j’attends leur lendemain pour les juger. Lorsqu’il n’y a pas long-temps encore, j’entendais, du haut de la tribune, des ministres se faire honneur de toutes les insurrections qui éclatent, pour un motif quelconque, sur une place publique quelconque, en inventer même au besoin, pour rendre la liste plus complète, qui n’avaient jamais eu lieu, je restais confondu d’une telle confiance chez des dépositaires du pouvoir, je ne pouvais me lasser d’admirer le calme merveilleux avec lequel on assumait ainsi sur sa tête la responsabilité de tant de sang versé, et on se promenait sur le chaos avant que la lumière s’y fût faite. Entrant cependant dans la seule considération qui puisse justifier une telle présomption, je suis prêt à me féliciter, avec le gouvernement nouveau, des hommages rendus de toutes parts à nos principes de 1789, à une condition toutefois, c’est que ces principes resteront les nôtres, c’est que le fruit comme l’honneur continuera à nous en appartenir ; c’est que nous ne choisirons pas, pour les fouler tous aux pieds chez nous, précisément le moment où ils semblent faire par la brèche, dans tous les autres pays de l’Europe, leur entrée triomphale.

Or, c’est là cependant, il faut que notre république naissante y réfléchisse, c’est là ce qui la menace, car, enfin, au nom de quels principes s’accomplit la révolution qui, commencée chez nous il y a cinquante ans, se poursuit aujourd’hui en Europe ? N’est-ce pas au nom des droits de la propriété compromise par des exactions arbitraires, au nom du travail et du mérite flétris par des distinctions humiliantes et privés par des lois iniques de leurs fruits légitimes et de leur ascendant naturel, au nom de la liberté individuelle gênée dans ses développemens de tout genre par la main tracassière du pouvoir, au nom enfin de cette légalité protectrice qui doit défendre l’individu contre l’état et le faible contre le fort ? Or, que méditait-on tout haut naguère encore dans des régions assez voisines du gouvernement, sinon une guerre ouverte à la propriété la plus légitimement acquise ; une persécution en règle contre le travail et le mérite, confondus, dès qu’ils ont conquis une modeste aisance, dans les rangs de ce qu’on appelle, par une distinction renouvelée de l’ancien régime, la classe bourgeoise ; une confiscation inouïe de la liberté individuelle par l’état, devenu entrepreneur commun et disputant aux particuliers les bénéfices de leur industrie ; enfin la destruction de tout système légal par la durée d’un régime tour à tour anarchique ou dictatorial (deux alternatives dont l’une par malheur appelle nécessairement l’autre), et qui, d’urgence en urgence,