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quand, le matin, en jetant les yeux sur le journal, on s’est assuré que la guerre n’était menaçante sur aucun point de l’horizon, on se tient pour satisfait, et on prête l’oreille au bruit du rappel qui bat, de la garde qui passe, ou aux sourds grondement de l’émeute.

Il faut faire violence pourtant à ces préoccupations si tristement explicables. Quelque danger qui la presse dans son propre sein, il n’est pas permis à la France de se désintéresser de sa grandeur, car c’est, après tout, dans le naufrage de ses institutions, dans le laborieux et incertain enfantement de ses destinées futures, le seul bien connu qui lui reste. Si quelque enseignement résulte de si fréquentes révolutions, c’est que toutes les institutions sont fragiles et trompent l’attachement qu’on leur porte ; mais c’est aussi qu’au milieu de la mobilité des événemens il y a un intérêt français qui les domine, et qu’on peut apercevoir au travers de tous les nuages. C’est sur ce cap qu’on doit mettre sa boussole dans la tempête. Moins que jamais, — précisément parce que nous ne savons dans quelle forme politique ou sociale la fortune capricieuse de la France a l’intention de s’arrêter, — il doit être permis de sacrifier entièrement, même aux plus urgentes questions de politique intérieure, le souci de notre grandeur au dehors. Ou il faut, en effet, que tout patriotisme périsse, étouffé par le soin exclusif de la défense personnelle, ou, comme on ne peut s’attacher à l’inconnu, c’est aux intérêts généraux de la France, en dehors de toute question de gouvernement, qu’il faut reporter tout ce que nous avions pu consacrer aux affaires publiques de sentiment et d’ardeur. Il faut réserver son dévouement pour quelque chose de plus élevé que de long-temps les gouvernemens ne pourront être.

Ce sera là, nous l’espérons, notre excuse, auprès des lecteurs impatiens, pour essayer de soumettre aujourd’hui à un examen sévère la situation que quelques mois de révolution ont faite à la France au dehors. Ce sera aussi l’explication du point de vue où nous entendons nous placer. Bien des gens s’imaginent qu’après une révolution tout est changé, qu’on va faire tout autrement que ses prédécesseurs, que tout ira de soi, simplement, facilement, dans des voies toutes nouvelles. L’illusion est ordinaire, surtout à certains partis, accoutumés à trancher de tout et à tourner en raillerie toutes les traditions, sorte d’arrogance qu’ils savent souvent parfaitement concilier avec la plus grande pauvreté d’inventions nouvelles. Je n’ai jamais pu partager cette manière de voir. Il m’a toujours semblé qu’une nation pouvait bien affaiblir par ses convulsions intérieures, mais changeait beaucoup moins, au point de vue de l’étranger, sa position qu’elle ne pense. Les mêmes intérêts, les mêmes embarras demeurent, et enferment un homme sensé à peu près dans la même ligne de conduite. Il y a donc une politique nécessairement commune à tous les gouvernemens, et qui peut