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trop : nous voulons parler du légitime mécontentement qu’inspire la conduite des Milanais et des Vénitiens depuis le commencement de la guerre. Le Piémont a seul, en réalité, mis sur pied des forces effectives ; il en rassemble chaque jour de nouvelles. Pour subvenir à ces dépenses extraordinaires, il a mis à nu ses réserves, et le dernier ministère avait proposé, il y a peu de jours, divers expédiens, dont les principaux étaient : l’établissement d’un impôt locatif, une augmentation de 50 pour 100 sur la contribution directe, et enfin un impôt de 12 millions, garanti sur les biens de l’ordre de chevalerie de Saint-Maurice et Lazare. Or, tandis que le Piémont s’épuise d’hommes et d’argent, quels sont les efforts tentés par le Milanais, l’état vénitien et -les autres provinces ? Les populations de ces contrées ne sont point aguerries, il est vrai, et feraient en ligne de fort mauvais soldats. Le général La Marmora, envoyé à Venise par Charles-Albert, n’a pu, malgré les soins les plus assidus, parvenir à y rassembler et à organiser un corps de troupes ; les Milanais ont su se défendre contre les Autrichiens derrière leurs barricades ; depuis, ils se sont donné beaucoup de mouvement pour enrégimenter des volontaires, dont on n’a pas vu encore un seul bataillon ; mais Venise, Milan et la Lombardie sont riches, plus riches que le Piémont : à défaut d’hommes, on peut y trouver de l’argent. Le gouvernement de Milan a décrété un emprunt que personne ne couvre. Est-ce là du patriotisme ? En revanche, on crie bien fort à Milan, on veut déclarer la patrie en danger, on parle de levée en masse, de mesures révolutionnaires, on pérore, on déclame, et l’on n’agit pas. Le Piémont, seule force réelle et organisée de l’Italie, sur qui retombent tous les sacrifices, devra-t-il être absorbé par la Lombardie ? En un mot, dans la réorganisation du nord de la péninsule, est-ce l’élément italien ou l’élément piémontais qui doit prédominer ?

Là est le germe de dissensions profondes qui se continueront certainement dans l’assemblée constituante où doivent se réunir les représentans de l’Italie septentrionale. Les discordes que nous venons de constater sur plusieurs points de l’Italie, et qui n’ont point attendu pour se produire que l’indépendance du territoire fût assurée, sont peut-être encore plus menaçantes pour l’avenir qu’elles ne sont dangereuses dans le présent. À Rome, où l’activité des esprits tend de plus en plus à se concentrer dans une lutte périlleuse contre le pouvoir temporel de la papauté ; à Florence, où un sentiment de patriotisme bien légitime refroidit la nation à l’endroit de la cause nationale ; à Turin, à Milan, à Venise, qui seront autant de champs de bataille pour les rivalités provinciales, partout des symptômes identiques se produisent, et en vérité, devant l’indifférence bien prononcée des masses pour les questions de pure liberté, devant l’absence d’esprit politique, qui caractérise la plus grande partie de la couche bourgeoise, dans laquelle reste encore concentré le libéralisme italien, on est quelquefois en droit de se demander si, loin d’être mûre pour la république que certains utopistes ont la prétention de lui imposer, l’Italie est suffisamment préparée aux institutions parlementaires dont elle fait les premiers essais.

V DE MARS.