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disait un journal italien, pour qu’un prince, quel qu’il soit, entreprît cette noble tâche ; nous accepterions le grand khan de Tartarie, si le grand khan pouvait nous réunir en une seule nation. » Ces mots sont l’expression vraie de la situation Avant tout, la nation a besoin d’être. Le peuple, la masse, n’entendent pas pour le moment à autre chose : ils veulent être Italiens et n’être plus Autrichiens. Être ou n’être pas, toute la question est là. Plus tard, quand le corps national aura été formé, il sera temps de souffler en lui la liberté qui le doit animer, et, en ceci, le bon sens du gros de la nation se montre plus logique que les avocats, orateurs et faiseurs de journaux qui prêchent dans les parlemens, dans les clubs et au coin des carrefours, des idées pour lesquelles, il faut bien le dire, l’Italie n’est point mûre encore. Le scrutin par registres, qu’on a ouvert dans les paroisses et qui est allé consulter directement et sans intermédiaires la volonté populaire, offre une preuve manifeste de ce que nous avançons. À l’exception de Milan et de quelques villes populeuses où la minorité a recueilli un certain nombre de voix, les votes ont été unanimes pour l’annexion immédiate au Piémont. En Vénétie, les comitats et les campagnes se sont prononcés hautement, alors que la capitale, livrée à une poignée de factieux, ajournait de tous ses efforts la solution de cette question vitale, et là encore c’est en définitive la masse, la garde nationale, qui un beau jour l’a tranchée en dépit des sophistes et des rhéteurs.

L’adhésion des Vénitiens, faite deux mois plus tôt, eût tout sauvé en permettant à Zucchi et à Durando de combiner leurs opérations avec celles de l’aile droite de l’armée piémontaise ; elle eût peut-être empêché ou atténué l’effet produit par la retraite des Napolitains. Aujourd’hui, et dans les circonstances au milieu desquelles il se produit, cet acte in extremis ne résout rien ; bien plus, il est possible qu’il complique la situation, car les Autrichiens sont à présent trop fortement établis dans la Vénétie pour que l’armée piémontaise puisse espérer de porter secours à Venise, et la prise de cette ville ne manquerait pas de fournir un nouvel aliment aux accusations que l’opposition républicaine ne cesse de porter contre le roi de Sardaigne. Ainsi, grâce à l’imprévoyance des Vénitiens, grâce surtout à l’opposition du parti républicain, qui, tout en faisant sonner bien haut son patriotisme, entravait à Milan l’action du gouvernement provisoire, retardait de tous ses efforts l’adjonction des provinces vénitiennes, en un mot servait à souhait les desseins de l’Autriche, la cause de l’indépendance est aujourd’hui compromise, il serait inutile de se le dissimuler ; la lenteur des opérations militaires sur l’Adige, les obstacles que rencontre l’armée piémontaise, l’alanguissement de l’esprit public, en sont la preuve. L’élan des premiers jours s’est ralenti, la lassitude a succédé à l’enthousiasme, et le découragement est entré dans ces populations, aussi promptes à se laisser abattre qu’elles s’étaient d’abord montrées présomptueuses. Un symptôme digne de remarque, et qui révèle suffisamment l’état des esprits, c’est l’opposition chaque jour moins vive que rencontre l’idée de l’intervention française. La possibilité d’un recours à la France est admise aujourd’hui par un grand nombre, et l’on sent qu’il ne faudrait pas un revers considérable pour amener bien des gens à ce parti extrême qu’on repoussait naguère avec une si fière confiance. Il semble pourtant que les Italiens, suivant leur habitude, se soient jetés d’une exagération dans une autre. Personne n’avait jamais cru que l’expulsion des Autrichiens fût une entreprise aussi aisée qu’ils semblaient tout d’abord se le figurer. On s’étonnerait à bon