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étaient arrêtés, quand les demandes de remboursemens des caisses d’épargne se multipliaient, le trésor était encore en mesure de suffire, par ses seules ressources, à ses engagemens. L’encaisse du trésor était, en effet, il ne faut pas l’oublier, de 195 millions, et avec cette somme, accrue des rentrées de l’impôt, on pouvait faire face à tout, momentanément du moins, en attendant la réunion de l’assemblée nationale. Les caisses d’épargne avaient au trésor un compte courant de 60 millions, que M. le ministre des finances n’avait pas le droit de leur refuser ; ces 60 millions auraient suffi et au-delà pour éteindre les premières demandes, et, au bout de bien peu de temps, on aurait vu ceux mêmes qui avaient retiré leur argent avec le plus d’empressement être les premiers à le replacer ; c’est ce que prouve l’expérience de toutes les paniques de caisses d’épargne. Avec le reste, c’est-à-dire avec 135 millions, on aurait payé le semestre échéant en mars et les bons du trésor échéant en mars et avril, et, par la solidité de son attitude au milieu de la crise, le trésor aurait donné à la place les moyens et le temps de se rassurer.

Au lieu de cela, qu’a fait M. Garnier-Pagès ? Il a suspendu sans nécessité les paiemens du trésor, il a porté le dernier coup à la confiance et à la circulation en interrompant les remboursement des caisses d’épargne et des bons royaux, il a « déshonoré par une banqueroute inutile, suivant l’énergique expression de M. Benjamin Delessert, le berceau de la république, » et, ce qui est plus coupable encore, s’il est possible, il a dissipé en dépenses inconnues ces 200 millions d’encaisse qui appartenaient aux créanciers de l’état. Ici l’accusation devient si grave et en même temps si précise, qu’il est impossible que le gouvernement provisoire tout entier ne donne pas les explications les plus nettes et les plus détaillées. Que sont devenus ces 200 millions réalisés en sus des recettes ordinaires de l’impôt, qui devaient et pouvaient, suivant M. Delessert, parer aux dettes exigibles ? Cette somme s’est même accrue des ressources extraordinaires créées par le gouvernement provisoire, comme l’emprunt de 50 millions à la Banque, l’impôt des 45 centimes, etc. M. Benjamin Delessert n’évalue pas à moins de 250 millions la somme dont il n’est pas rendu compte. Jamais plus lourde responsabilité n’a pesé sur une administration financière. M. Garnier-Pagès est un honnête homme, tout le monde le sait, mais la probité connue d’un ministre ne suffit pas : il faut des comptes. L’ancien gouvernement que M. Garnier-Pagès a si violemment accusé rendait compte, lui, de ses dépenses jusqu’au dernier centime.

Il serait à désirer que les écrits de MM. Lacave-Laplagne et Benjamin Delessert fussent lus par tous les Français. Ils rectifieraient bien des idées fausses et serviraient à guider l’avenir autant qu’à éclairer le passé. De leur côté, les rapports de M. Garnier-Pagès, les discours de M. Duclerc, resteront comme des monumens d’ignorance. Ils apprendront à nos successeurs, par une expérience funeste, quelles sont les erreurs qu’il faut éviter en matière de finances. Heureusement l’assemblée nationale nous a débarrassés de ces financiers de hasard qui, pour le malheur de notre pays, ont porté en quatre mois le désordre dans les plus belles finances du monde entier. Le nouveau ministre, M. Goudchaux, offre plus de garanties, et son apparition a été saluée par un retour éclatant de confiance et de crédit. Le mal n’est pas irréparable, quelque grand qu’il soit ; la nation était très riche le 24 février, et, si on sort enfin de ce système de ruine