Page:Revue des Deux Mondes - 1848 - tome 23.djvu/286

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

comme une sorte de réponse officielle aux protestations de neutralité que lui envoyait M. de Lamartine Ce n’est pas seulement en Italie que notre diplomatie s’est fait tort par cette double conduite. Nous sommes charmés de voir M. Quinette si bien accueilli à Bruxelles, mais nous n’ignorons pas la fausse situation où se trouvait son prédécesseur, quand le ministre belge opposait aux assurances amicales, qu’on était chargé de lui prodiguer, la communication officieuse des dossiers de l’affaire de Risquons-tout. Pour se tirer de pareilles contradictions, il fallait de plus habiles diplomates que ceux que la république était obligée d’improviser.

M. Bastide n’a peut-être pas la force de balayer tout-à-fait ces excentricités que la rancune de M. de Boissy lui a signalées dans son département. La composition des consulats est, dit-on, restée bien singulière : les petites industries en faillite se seraient, à ce qu’on assure, casées fort avantageusement aux quatre coins du monde, sous l’ombre protectrice du pavillon national, à la simple condition de le faire respecter. Il y a d’ailleurs encore, dans les postes politiques, de quoi donner fort à penser, si l’on essaie, par ceux-là, de juger d’autres qui sont moins importans. On a, grâce à Dieu, retiré de Naples ce ministre farouche qui aimait nos marins, mais pas leurs officiers, et qui se mettait tout à la fois en guerre contre le roi de Naples et contre l’amiral Baudin, tant il détestait l’aristocratie de l’épaulette et l’aristocratie du trône : on l’a remplacé par M. de Rayneval, dont le choix est d’un excellent effet. C’est surtout dans la diplomatie qu’il y a des familles qui appartiennent au pays bien plus qu’au gouvernement. L’ambassade de Naples est donc sauvée, Rome aussi avec M. d’Harcourt ; mais sommes-nous bien avancés à Lisbonne pour ne plus y posséder M. Nivière ? La splendeur littéraire des Sept Infans de Lara était-elle encore assez neuve pour faire de l’auteur le représentant de la France dans la patrie du Camoëns ? Le Génie du Christianisme n’avait pas mieux servi M. de Chateaubriand. Et M. Anselme Petetin, qui jamais l’aurait cru né pour les rapports délicats, pour les entreprises intimes de la diplomatie ? On l’a mis, il est vrai, en Hanovre, et ce n’est pas précisément un pays aimable ; mais encore faut-il y vivre avec les gens. À Francfort, M. Savoie est toujours étonné de se réveiller et de s’endormir en ministre français ; aussi se répète-t-il le plus souvent possible qu’il n’est point Allemand, et qu’il n’a jamais correspondu de Paris avec la Gazette d’Augsbourg. Il finirait par le croire, s’il pouvait s’empêcher de fraterniser d’un peu trop près avec la future république teutonne. Pour M. Arago, il n’y va pas de main morte ; il endosse les harangues des exaltés les plus chauds de Berlin, et il leur tient ou leur fait tenir de certains discours avec accompagnement d’allusions ultra-démocratiques, dont les honnêtes bourgeois de la résidence sont aussi charmés que nous le serions d’un ambassadeur prussien qui nous prêcherait le royalisme. Bettina, la vieille enfant terrible, Bettina raffole de toute la légation républicaine. Sérieusement, nous conjurons le général Cavaignac de pourvoir au plus vite à ces grands postes, qui ne sont vraiment pas remplis. Francfort et Berlin sont deux points capitaux en ce moment-ci sur la carte des révolutions européennes ; Francfort vient de créer un fantôme d’empereur, qui contribuera peut-être à démolir l’Autriche, d’où il sort, et Berlin est une des étapes accoutumées de cet autre empereur, empereur tout de bon, qui menace aujourd’hui plus que jamais l’anarchique Allemagne. Les cosaques approchent : que la république prenne garde !