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finances s’est partagé sur une proposition de M. Faucher, qui voudrait ouvrir un crédit de 100 millions pour constituer des comptoirs analogues dans toutes les villes industrielles ou commerçantes de France, les villes et les particuliers souscripteurs fournissant de leur côté 100 autres millions. Quel que soit le vote de l’assemblée dans une question qui embrasse ainsi toute la situation commerciale du pays, nous ne pouvons croire qu’il ne sorte pas toujours de là quelque résultat pratique. Il y aurait évidemment reprise immédiate du travail, si l’on essayait sur cette grande échelle la régénération du crédit.

Le crédit, il ne faut point se lasser de le répéter, c’est l’indispensable agent du travail, c’est le plus sur allégement qu’on puisse offrir à l’industrie dans l’embarras, c’est l’outil le plus prompt de la fortune publique ; mais, ne l’oublions jamais, c’en est aussi le plus fragile. Le crédit a été bien près de recevoir un coup fatal des mains du dernier ministère. Le rachat forcé des chemins de fer et du service des assurances aurait pour long-temps fermé toutes les bourses. M. Goudchaux, héritant du système de M. Duclerc, qui n’était plus du tout un secret, s’est hâté d’en ajourner l’exécution, en réservant le principe par politesse. M. Duclerc n’a pas très bien pris la chose : des amis imprudens l’appellent tout haut le jeune Cambon de la nouvelle république ; il n’est peut-être pas assez éloigné de les croire. On dirait presque qu’il a voulu se venger de son successeur, en l’entraînant derrière lui dans ces eaux courantes où il voguait si raide à la banqueroute. M. Goudchaux l’avait en effet très maltraité sans en pouvoir mais ; il avait réduit à sa juste valeur cet échafaudage de ressources financières avec lequel M. Duclerc mettait son budget en équilibre ; M. Duclerc l’a puni en l’obligeant, à force d’insistance, à compromettre un tant soit peu le crédit de l’état par une liquidation médiocrement équitable des bons du trésor et des dépôts des caisses d’épargne. M. Goudchaux défendant très mollement les créanciers, ses cliens naturels, l’assemblée a voté le rembourseraient de ces créanciers malencontreux en 5 pour 100 à 80 et en 3 pour 100 à 55. On affirmait que ce serait le cours du lendemain, si ce n’était pas celui du jour. Le sur lendemain, le 5 retombait à 77 et le 3 à 49. C’est une faute que la majorité a commise dans un accès d’horreur contre l’agiotage : l’agiotage tout seul aura gagné au concordat onéreux que l’état impose ainsi à ses créanciers sans les avoir consultés.

Cet épisode financier est à peu près l’unique intérêt qui ait une fois animé les séances parlementaires pendant cette quinzaine. L’intérêt dominant et permanent était dans les délibérations des comités et des bureaux. Nous ne savons pas si l’éloquence pourra jamais retrouver sa place à travers l’inévitable tumulte d’une assemblée de neuf cents personnes. Jusqu’ici, du moins, on vote plus qu’on ne discute dans la salle des séances. On discute entre cinquante, et les fragmens de ces débats qui parviennent au public nous prouvent heureusement qu’on les maintient à la hauteur des problèmes en question. Ce sont surtout les débats relatifs au projet de constitution qui ont eu le privilège d’attirer l’attention et quelquefois l’admiration générale. Les deux discours de M. Thiers sur le droit au travail et sur la nécessité des deux chambres ont produit au dehors une impression incontestable. Ce grand bon sens, si vif et si net, séduit comme un charme au milieu de l’embrouillement où les théories absolues ont poussé les idées. L’argumentation syllogistique et martelée de M. de Cormenin