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s’appuyer plus que jamais toute l’action du gouvernement. Nous reconnaissons avec joie que le pouvoir exécutif et l’assemblée nationale s’accordent à merveille dans ce double esprit. L’assemblée a écouté le général Cavaignac sans étonnement et sans déplaisir, quand il a déclaré avec l’énergique loyauté d’une conscience honnête que l’état de siège devait être longuement maintenu. De son côté, le gouvernement a fait bon marché des scrupules au moins singuliers que ses prédécesseurs élevaient contre toute mesure d’ordre et de sûreté publique, il n’a pas craint cette chimère que l’on avait forgée sous le nom de réaction, et, comme il n’avait que des intentions droites, il n’a pas redouté de s’unir aux nouveaux républicains qui voulaient, avant toute chose, préserver la société. C’est ainsi que les propositions de M. de Remilly ont été spontanément et presque fidèlement traduites en décrets par le ministère ; comme ce n’était point là une affaire de parti, tout le monde s’est félicité de voir le ministère disputer à l’assemblée l’honneur de cette initiative courageuse. Les ateliers nationaux ont été licenciés du jour au lendemain ; cette effroyable bagarre dont M. Trélat ne pouvait sortir, cette organisation de la paresse avec ses lieutenances et ses brigades, tout le système enfin a disparu au premier souffle d’une volonté sûre d’elle-même. Puis on a procédé au désarmement, et les fusils sont rentrés dans les arsenaux de l’état aussi vite qu’ils en étaient sortis. Ce n’est pas peu dire. Puis enfin les camps se sont installés autour de Paris, et Paris aura constamment cinquante mille hommes qu’il pourra mettre debout d’un coup de tambour. L’ordre matériel ainsi rétabli et fortifié, le gouvernement a pris en main la défense de l’ordre moral. Il demande un vote d’urgence pour trois décrets qu’il vient de soumettre à l’assemblée. Ces décrets sont les lois de septembre de la république, et nous ne leur en voulons pas du tout pour cela. Ils réglementent la liberté de la presse et la liberté de réunion. Le cautionnement réduit à 24,000 francs ne saurait être un obstacle pour toute pensée sérieuse qui aura besoin de se manifester par un organe public. Le cautionnement, quel qu’il soit, garde toujours, il est vrai, l’inconvénient des rigueurs préventives ; à qui la faute, si le mal dépasse tout de suite chez nous la portée que pourrait jamais avoir la répression ? La répression des délits commis par le journalisme est l’objet du second décret ; on s’y rattache purement et simplement à la loi de 1819. Enfin le troisième décret institue la police des clubs. Les trois seront, bien entendu, votés, malgré le tapage de la montagne.

Ce que la montagne arbore en guise de drapeau, son moyen de popularité, c’est un solennel désir de mettre enfin le bien-être sous la main de tous, c’est une compassion très affichée pour les souffrances du pauvre. Les esprits raisonnables qui composent la grande majorité de l’assemblée, qui ont désormais leur place dans les conseils du gouvernement, les esprits justes et consciencieux agissent davantage et sans cette vaniteuse ostentation. La montagne soutient qu’elle n’a point ouvert la porte à la misère, puisqu’au contraire son système serait de la fermer ; cela prouverait tout au plus que le système opère à l’envers de ce qu’il promet. La majorité de l’assemblée n’a point de système ; elle trouve devant elle les maux que lui a légués le gouvernement de la montagne ; elle tâche de les guérir ou de les diminuer, en les prenant comme on peut, par où l’on peut. Elle soulage le malade aujourd’hui de ce côté-ci, demain de ce côté-là ; elle ne le remet pas sur ses jambes à première vue ; les miracles ne sont pas de sa compétence.