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M. Nothomb exigeait, en effet, l’emploi de tous les mauvais moyens de gouvernement. Ne pouvant offrir les fonctions publiques au nom d’une opinion nette et franches il fallait bien aller chercher des hommes dont la conscience fût de bonne composition. Or, rien n’est facile comme de trouver de ces natures amphibies qui étouffent leurs principes sous l’égoïsme, alors que les pouvoirs publics offrent une prime à leur indignité. Pendant quatre longues années, le ministère de l’intérieur, dont M. Nothomb était titulaire, remua dans tous les coins du pays la vase des ambitions infimes. La défection, la trahison, furent érigées en système. Le pays, la presse, retentirent des honteux marchés qui se concluaient chaque jour. L’esprit public, se réveillant avec énergie, se redressa contre le parti catholique, et les élections communales et provinciales, qui jusqu’alors avaient été aux mains du clergé, lui échappèrent et lui devinrent hostiles. L’opposition parlementaire, solidement organisée, ayant un but et un drapeau, l’indépendance du pouvoir civil, se fortifiait chaque jour. Chaque mois, dans la Revue nationale, M. Devaux foudroyait la politique mixte sous d’éloquens articles. La presse de province, sauf trois ou quatre organes spéciaux du clergé, était entièrement libérale. En présence des dispositions du pays, les jésuites sentirent qu’il fallait frapper un grand coup, et ils comptèrent sur M. Nothomb, pour modifier, dans leur intérêt, nos lois communales et électorales. Leur espoir ne fut pas trompé, et la modification qu’ils désiraient fut votée par la majorité catholique, aidée des mixtes. Pour avoir raison de l’opinion publique des grandes villes, on emporta une loi de fractionnement des collèges électoraux ; le parti théocratique n’avait plus que ce moyen pour voir quelques-uns des siens survivre au naufrage qui les menaçait tous. Maîtres d’un quartier par les influences combinées du clergé, de l’aristocratie et de la finance, les catholiques avaient au moins la consolation de conserver quelques voix dans les comices d’une cité.

On touchait à une crise. La négation de tous les principes sacrés, le dédain de la sincérité, de l’honneur politique, le ridicule jeté par une presse éhontée sur toute probité civique, sur tout dévouement à la liberté, tels étaient les principaux traits d’une situation que défendaient à outrance tous les ambitieux satisfaits, qui ne demandaient au gouvernement que la paix matérielle, sans se préoccuper du mécontentement public.

C’est alors que la presse libérale tenta un effort suprême et conseilla aux libéraux d’user du grand moyen constitutionnel que nos institutions autorisent : de l’association. A Bruxelles et à Liège, il existait déjà des sociétés électorales, c’est-à-dire des réunions de tous ceux qui cherchaient à défendre les libertés compromises. Elles avaient donné la mesure de ce que notre pays pouvait en attendre. Il y régnait un ordre parfait et une émulation salutaire. Jamais le moindre symptôme de violence et de subversion n’y était apparu. Agir par les moyens légaux, mais par les moyens légaux seuls, telle était la pensée dominante de ces associations. La presse libérale, qui avait pu juger de l’efficacité de ces associations par l’exemple des grandes villes, en conseilla l’extension dans les provinces, et bientôt ses avis furent écoutés. Après Liège et Bruxelles, Gand, Mons, Verviers, Anvers et vingt autres villes formèrent leurs sociétés électorales. Les candidats y étaient discutés et adoptés par la majorité des voix, et tous les membres de la société s’engageaient d’honneur à voter pour les candidats que le scrutin avait désignés.