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des hautes fonctions publiques, et pour laisser prendre à l’épiscopat une influence qui lui permît de parler en maître dans les élections et au pouvoir. Toutefois les libéraux du parti modéré eurent, pendant leur court passage au ministère, l’initiative d’un grand acte d’intérêt matériel et politique. Ils firent décréter l’établissement des chemins de fer par l’état. Cette pensée, qui sera leur gloire, a grandement contribué à donner à la Belgique une confiance plus entière dans l’avenir ; elle a puissamment activé le développement de son commerce et de son industrie. Essentiellement démocratiques, les chemins de fer belges transportent voyageurs et marchandises à des prix inférieurs à ceux de tous les autres établissemens de ce genre.

Cependant, à mesure que la question extérieure semblait de plus en plus se résoudre pacifiquement, à mesure que le pays s’habituait mieux à son indépendance et à ses libertés, les partis anciens commençaient à reprendre leur assiette naturelle. Les exigences toujours croissantes des catholiques, quelques procès qui firent du bruit et qui montraient le clergé avide des fortunes particulières, un grand nombre d’établissemens religieux d’hommes et de femmes s’emparant peu à peu de l’instruction publique au nom de la liberté de l’enseignement, firent sentir aux libéraux influens que le temps des ménagemens était passé. C’est alors que M. Devaux, un des hommes les plus importans du pays, et qui lui avait déjà rendu l’immense service de préparer, dès 1820, la levée de boucliers contre un pouvoir détesté, c’est alors, dis-je, que M. Devaux fonda un recueil, la Revue nationale, qui devait porter à l’omnipotence épiscopale les mêmes coups que ce publiciste et ses amis, MM. Lebeau et Rogier, avaient portés à l’omnipotence du roi Guillaume. M. Devaux établissait, dans la Revue nationale, que le parti catholique, qui avait été un auxiliaire utile, et qui, comme tel, avait une juste part à demander dans le maniement des affaires du pays, avait rompu l’union par son implacable tendance à l’esprit d’empiétement. Il déclarait qu’il fallait aviser à le faire rentrer dans ses limites naturelles : le domaine de la foi et la conduite spirituelle des âmes.

On était en 1839. La Belgique était enfin complètement dégagée de la question extérieure. À la fin de cette année, le concours des grandes puissances amena la conclusion du traité de paix. La restitution au roi Guillaume de la partie germanique de nos provinces luxembourgeoises et limbourgeoises fut votée par les chambres, non sans une douleur profonde ; mais la raison d’état avait parlé : la France et l’Angleterre, qui nous avaient été favorables jusqu’alors, nous contraignirent de subir stoïquement cette amputation. Il fallut s’exécuter. Toutefois l’altitude du ministère catholique dans la négociation qui précéda ce traité de paix avait vivement indisposé les chambres, qui ne le soutenaient plus que par esprit de conservation. Un accident suffit donc pour renverser le cabinet. Il tomba sur une question imprévue : la réintégration dans l’armée d’un officier-général qui avait forfait à ses devoirs. C’est à cette occasion que M. Devaux et ses deux amis, MM. Lebeau et Rogier, se séparèrent officiellement du ministère. Les deux derniers, hauts fonctionnaires publics, donnèrent leur démission de gouverneurs de province après leur vote hostile au cabinet de Theux.

M. Lebeau ne tarda pas à être chargé de constituer un nouveau cabinet. C’est de ce jour que date notre seconde phase politique. Les libéraux indépendans, honnêtes, se séparèrent des catholiques, et, les deux partis revenant