Page:Revue des Deux Mondes - 1848 - tome 23.djvu/267

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

étrangère qu’en sœur. On eût dit que notre indépendance nationale, pour laquelle nous avions combattu depuis des siècles, et qu’au prix d’immenses sacrifices nous avions enfin reconquise, avait quelque chose qui blessât les héritiers de la France impériale, et que nous n’avions le droit de vie que grâce à leur clémence.

C’est depuis le 24 février surtout que votre presse semble se complaire à nous maudire. On propage contre nous les erreurs les plus cruelles, avec une malveillance qui tient de l’acharnement. Comme si la fourmi ne pouvait vivre à côté de l’aigle sans lui faire ombrage, on transforme notre pays en un centre de conspirations, et notre gouvernement libéral en complice de la Russie, en avant-garde de l’Angleterre. Pourquoi ces calomnies ? N’est-ce donc point assez de gloire pour la France d’être le Christ des temps modernes et de se crucifier périodiquement pour l’humanité ? Pour n’être qu’un petit peuple modeste et sans rayonnement, qu’au moins on n’aille pas jusqu’à nous haïr. Qu’on nous juge plutôt, non avec cette générosité qui est une de vos vertus, mais avec justice. Voici, du reste, les pièces de notre histoire depuis notre affranchissement en 1830 ; d’abord quelques brefs souvenirs.

En 1815, le royaume des Pays-Bas fut érigé comme un rempart du nord contre la France : telle était évidemment la pensée qui guida le congrès de Vienne ; mais les Pays-Bas ne partageaient point cette pensée d’hostilité. Les idées libérales qui avaient triomphé en 1789 y avaient gardé leur empire, grâce aux souvenirs des libertés héréditaires dont la Hollande, notamment, jouissait depuis des siècles. Le roi Guillaume n’avait d’ailleurs pas peur des idées, comme la restauration française, témoin l’accueil bienveillant et hospitalier qu’il avait fait aux conventionnels exilés. Cependant, si le roi Guillaume aimait la philosophie en homme d’esprit, il n’aimait la liberté qu’en roi ; il la voulait pour lui seul. La philosophie, il la protégeait et en laissait volontiers jouir tout le monde. C’est ce qui explique comment il se fit deux sortes d’ennemis puissans en Belgique : l’épiscopat, hostile à la philosophie ; le libéralisme, hostile à l’omnipotence royale. Aussi quelques années s’étaient à peine écoulées depuis la fondation du royaume des Pays-Bas, que la lassitude née des longs malheurs de la guerre avait fait place à l’éveil de l’opinion publique.

C’est alors que l’on put reconnaître quelle faute politique on avait commise en accouplant la Belgique catholique à la Hollande protestante. La prospérité grandissante, née de la réunion des provinces méridionales, purement industrielles, aux provinces du nord, purement commerciales, ne put effacer le vice originel de la formation du royaume des Pays-Bas. La paix avait déjà été assez longue pour faire poindre le phénomène normal des temps de sécurité : la question morale dominait de toute sa hauteur la question matérielle.

Ce fut en 1828 seulement que le mécontentement sourd qui existait en Belgique parvint enfin à se formuler avec quelque netteté. Le parti libéral avait des griefs sérieux contre le gouvernement. Les fonctions publiques n’étaient point équitablement réparties ; les provinces belges étaient exploitées par tous les ambitieux des provinces septentrionales ; les libertés publiques étaient entamées et menacées ; la langue française avait dû faire place à la langue nationale ; les lois d’impôt étaient devenues oppressives ; en un mot, la suprématie appartenait de fait et en toute chose aux Hollandais. « L’opposition se composait