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affaires, que gagne-t-on ? Ne sait-on pas que, dans une foule d’entreprises par actions, le dividende des actionnaires est à peine de 3 à 4 pour 100, souvent de moins, et quelquefois de rien du tout. Je connais plusieurs fabricans qui travaillent pour leur propre compte et emploient cinq cents ouvriers ; ils s’estiment fort heureux, après avoir prélevé l’intérêt du capital engagé, quand ils ont un bénéfice de 6 ou 8,000 francs comme salaire de leur industrie et de leur intelligence, comme indemnité des risques qu’ils ont fait courir à leur capital, à l’existence de leur famille. Ce bénéfice, fort incertain, que serait-il pour chacun des cinq cents ouvriers ? Supposons-le certain et en moyenne de 6,000 fr., ce serait 12 fr. pour chacun. Voilà l’énorme exploitation que le chef d’atelier, quand il est heureux, pratique sur chacun des travailleurs ; voilà l’immense conquête que les théoriciens socialistes offrent en perspective à l’ambition du peuple, au prix de tous les hasards d’une réforme périlleuse ! Douze francs à conquérir en ruinant leurs frères, et peut-être en versant leur sang !

Ne vaudrait-il pas mieux que les ouvriers, au lieu de s’exposer à toutes les chances qui annulent souvent le dividende et le capital, plaçassent à intérêt leur part du capital de la société et reçussent un safaire librement débattu, proportionné à l’état des affaires ? Dans la fabrique que j’ai prise pour base de mon argumentation, il doit y avoir un capital d’au moins 200,000 fr., ce qui serait 400 fr. pour chacun des associés. Ne serait-il pas plus sage d’accroître ce petit capital d’une manière certaine par l’intérêt composé, par l’économie sur le salaire fixe, jusqu’à ce qu’il fût assez gros pour entreprendre une petite industrie ou acheter une propriété ?

Mais, diront les partisans de l’association, les ouvriers étant associés, travailleront avec plus d’ardeur et ils produiront davantage ; le capital et les intérêts collectifs seront mieux administrés, parce que les travailleurs choisiront à l’élection les plus capables d’entre eux pour administrateurs. Que d’illusions dans ce peu de lignes ! quelle ignorance du cœur humain et des faits signalés chaque jour dans toutes les industries ! Il n’y a que les hommes qui ont passé leur vie dans le cabinet qui puissent avoir de pareilles idées. Présentez-les à un bon paysan, à un artisan laborieux, intelligent, et leur bon sens naturel suffira pour les juger. On pourra les faire admettre à des savans sans expérience ; elles trouveront rebelles tous les bons ouvriers.

Je n’examinerai pas la question de l’égalité des salaires dans l’association ; il n’y a plus rien à en dire. Cette question a été jugée dans nombre d’écrits et par tous les ouvriers intelligens. Mais, si on repousse l’égalité des salaires comme contraire à la justice et au cœur humain, comment l’association réglera-t-elle la graduation des prix du travail en raison de l’activité, de l’intelligence et du savoir-faire ? Dans l’ancienne