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de nourrir de nombreux troupeaux. Voilà ce que l’on gagnerait à la ruine de cette bourgeoisie contre laquelle on excite les simples travailleurs, au lieu de leur faire comprendre qu’il y a entre eux et la bourgeoisie communauté complète d’intérêts, réciprocité de services ; que la bourgeoisie n’est pas une caste privilégiée, que c’est une partie du peuple lui-même, qui s’est élevée par le travail ; que les artisans entrent tous les jours dans la bourgeoisie, pendant que des bourgeois, par suite des vicissitudes du commerce et de l’industrie, rentrent aussi tous les jours dans la classe d’où ils étaient sortis. C’est là le mouvement naturel et providentiel de la société, car c’est le désir de s’élever et de rester dans les rangs de la bourgeoisie qui crée l’émulation, la vie sociale.

Si, à Dieu ne plaise, les théories socialistes promenaient sur la nation un niveau qui ne peut être que celui de la misère, croit-on que cette égalité du malheur durerait long-temps ? Non ; la force des choses concentrerait de nouveau les capitaux dans les mains les plus actives, les plus intelligentes, et, pour le bien de tous, nous aurions encore les chefs du travail. La masse des hommes a besoin d’être conduite. Je sais bien que les socialistes me répondront que la diffusion des capitaux dans toutes les poches, loin d’être un obstacle au travail, serait au contraire un bienfait pour l’humanité. Les capitaux se concentreront par l’association des ouvriers, et ceux-ci, au lieu d’être exploités par le possesseur unique du capital, jouiraient de tout le fruit de leur travail. Cette théorie vaut assurément la peine d’être étudiée, car elle serait admirable si elle pouvait être généralement appliquée, si elle produisait les avantages matériels, moraux et politiques, qu’on en attend ; mais, avant de la discuter, constatons d’abord qu’on ne pourrait diviser entre tous les capitaux créés sans commettre la plus odieuse des spoliations, puisque tout capital vient du travail. On ne changerait pas la nature de cet acte en l’appelant une révolution sociale. — La mesure est-elle juste ? dit Aristide à Périclès. — Non, répondit celui-ci ; mais elle est utile au salut de la république. — N’importe, elle est mauvaise, puisqu’elle est injuste.

Aurait-on du moins ici l’excuse de l’utilité ? Nous allons voir. Distinguons bien, au préalable, le but pécuniaire : en réalité, après la spoliation des riches, il ne s’agit plus que de partager entre les ouvriers le bénéfice qu’est censé faire le chef de fabrique ou d’atelier. Il ne peut y avoir un autre avantage matériel ; voyons si cet avantage est assez considérable pour qu’on l’achète par une révolution sociale et industrielle qui peut couvrir la France de misère et de sang.

Y a-t-il toujours bénéfice pour le chef d’atelier et quel est ce bénéfice ? Tout le monde sait que souvent on perd au lieu de gagner, et l’on voit tous les jours des fabricans se ruiner. Mais, quand on fait bien ses