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2° Les objets fabriqués, qui l’habillent et lui donnent les commodités de la vie.

Eh bien ! y a-t-il des aristocrates qui détiennent dans leurs mains les cent quarante millions d’hectolitres de tous grains, les quarante millions d’hectolitres de vin, la laine, le chanvre, le lin, la viande, l’huile, etc., que la France doit produire et consommer en 1849 ? y a-t-il d’autres aristocrates qui détiennent les meubles et les étoffes pour la consommation de la France pendant un an ? Non, il faut que tout cela se produise par le travail incessant de tous ou presque tous. Si le travail s’arrêtait seulement pendant quelques mois, la nation mourrait de faim et serait nue, car elle n’a pas dans les richesses produites les avances nécessaires pour suppléer à ce chômage.

Supposons qu’on la dispense de ce travail incessant. Améliorerait-on son sort en lui partageant la richesse déjà créée, c’est-à-dire la terre, les maisons, l’argent, tout ce que possèdent ceux qu’on appelle les riches ? Examinons.

Combien sont-ils ces riches contre lesquels on allume si imprudemment la colère du peuple ? Votre ancienne loi électorale peut vous le dire : vous aviez deux cent vingt mille électeurs payant 200 fr. d’impôt et au-dessus. La plupart sont pauvres. La propriété, représentée par 200 fr. d’impôts, est souvent grevée d’hypothèques pour une grande partie de sa valeur ; dans tous les cas, elle alimente une nombreuse famille, et c’est tout au plus si, parmi ces deux cent vingt mille électeurs, on trouverait soixante mille familles, pouvant avoir du luxe, du superflu. C’est égal, considérons ces deux cent vingt mille électeurs comme riches, et, au lieu de les spolier graduellement, ainsi que l’entendent certains économistes, par l’impôt ordinaire progressif, par l’impôt extraordinaire, qui n’atteint qu’eux, par les droits de succession progressifs, prenons-leur tout d’un coup la totalité de ce qu’ils possèdent, et distribuons leurs dépouilles aux trente-quatre millions d’individus qui, ne possédant pas ou ne possédant que très peu, vivent presque entièrement de leur travail journalier. Que sera-ce pour chacun ? Une fort chétive somme, qui ne les dispensera pas d’un jour, d’une heure de travail. Leur situation sera-t-elle améliorée ? Je dis qu’elle sera empirée : ces deux cent vingt mille riches qu’on aura dépouillés, qu’étaient-ils ? Les directeurs, les propagateurs du travail. Les capitaux avec lesquels ils alimentaient l’industrie, étant disséminés dans toutes les poches, n’auront plus la puissance de créer le travail. C’est comme un levier qu’on aurait coupé en plusieurs tronçons, il ne peut plus soulever le fardeau. La société, privée de l’intelligence des directeurs et du grand moteur de l’industrie, le capital concentré, tomberait dans le marasme ; elle descendrait à un état pire que celui des Arabes, lesquels du moins ont pour eux l’espace, qui leur permet