Page:Revue des Deux Mondes - 1848 - tome 23.djvu/246

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

L’Orage.

L’orage couve sourdement sur la mer, et à travers la noire muraille des nuages palpite la foudre dentelée, qui luit et s’éteint comme un trait d’esprit sorti de la tête de Zeus-Kronion. Sur l’onde déserte et agitée roule longuement le tonnerre et bondissent les blancs coursiers de Poséidon, que Borée lui-même a jadis engendrés avec les cavales échevelées d’Érichthon, et les oiseaux de mer s’agitent, inquiets comme les ombres des morts que Caron, au bord du Styx, repousse de sa barque surchargée.

Il y a un pauvre petit navire qui danse là-bas une danse bien périlleuse ! Éole lui envoie les plus fougueux musiciens de sa bande, qui le harcèlent cruellement de leur branle folâtre ; l’un siffle, l’autre souffle, le troisième joue de la basse, — et le pilote chancelant se tient au gouvernail et observe sans cesse la boussole, cette ame tremblante du navire, et, tendant des mains suppliantes vers le ciel, il s’écrie : Oh ! sauve-moi, Castor, vaillant cavalier, et toi, glorieux athlète, Pollux !


Le Naufrage.

Espoir et amour ! Tout est brisé, et moi-même, comme un cadavre que la mer a rejeté avec mépris, je gis là, étendu sur le rivage, sur le rivage désert et nu. — Devant moi s’étale le grand désert des eaux ; derrière moi, il n’y a qu’exil et douleur, et au-dessus de ma tête voguent les nuées, ces grises et informes filles de l’air, qui de la mer, avec des seaux de brouillard, puisent l’eau, la traînent à grand’peine ; et la laissent retomber dans la mer, besogne triste, et fastidieuse, et inutile, comme ma propre vie.

Les vagues murmurent, les mouettes croassent, de vieux souvenirs me saisissent, des rêves oubliés, des images éteintes me reviennent, tristes et doux.

Il est dans le Nord une femme belle, royalement belle ; une voluptueuse robe blanche entoure sa frêle taille de cyprès ; les boucles noires de ses cheveux, s’échappant comme une nuit bienheureuse de sa tête couronnée de tresses, s’enroulent capricieusement autour de son doux et pâle visage, et dans son doux et pâle visage, grand et puissant, rayonne son œil, semblable à un soleil noir.

Noir soleil, combien de fois tu m’as versé les flammes dévorantes de l’enthousiasme, et combien de fois ne suis-je pas resté chancelant sous l’ivresse de cette boisson ! Mais alors un sourire d’une douceur enfantine voltigeait autour de ses lèvres fièrement arquées, et ces lèvres fièrement arquées exhalaient des mots gracieux comme le clair de lune et suaves comme l’haleine de la rose. Et mon ame alors s’élevait et planait avec allégresse jusqu’au ciel.

Faites silence, vagues et mouettes ! Bonheur et espoir ! espoir et amour ! tout est fini. Je gis à terre, misérable naufragé, et je presse mon visage brûlant sur le sable humide de la plage.

Les Dieux grecs.

Sous la lumière de la lune, la mer brille comme de l’or en fusion ; une clarté, qui a l’éclat du jour et la mollesse enchantée des nuits, illumine la vaste plage,