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O merveille de la paix ! comme la ville est tranquille ! Le sourd bourdonnement des vaines et babillardes affaires, le bruissement des métiers, tout se tait, et à travers les rues claires et resplendissantes se promènent des hommes vêtus de blanc et portant, des palmes, et, lorsque deux personnes se rencontrent, elles se regardent d’un air d’intelligence, et, dans un tressaillement d’amour et de douce renonciation, elles s’embrassent au front et lèvent les yeux vers le cœur radieux du Sauveur, vers ce cœur qui est le soleil et qui verse allégrement la pourpre de son sang réconciliateur sur le monde, et elles disent trois fois dans un transport de béatitude : Béni soit Christus !


Salut du matin.

Thalatta ! Thalatta[1] ! Je te salue, mer éternelle ! Je te salue dix mille fois d’un cœur joyeux, comme autrefois te saluèrent dix mille cœurs grecs, cœurs malheureux dans les combats, soupirant après leur patrie, cœurs illustres dans l’histoire du monde.

Les flots s’agitaient et mugissaient ; le soleil versait sur la mer ses clartés roses ; des volées de mouettes s’enfuyaient effarouchées en poussant des cris aigus ; les chevaux piaffaient ; les boucliers résonnaient d’un cliquetis joyeux. Comme un chant de victoire retentissait le cri : Thalatta ! Thalatta !

Je te salue, mer éternelle ! Je retrouve dans le bruissement de tes ondes comme un écho de la patrie, et je crois voir les rêves de mon enfance scintiller à la surface de tes vagues, et il me revient de vieux souvenirs de tous les chers et nobles jouets, de tous les brillans cadeaux de Noël, de tous les coraux rouges, des perles et des coquillages dorés que tu conserves mystérieusement dans des coffrets de cristal !

Oh ! combien j’ai souffert des ennuis de la terre étrangère ! Comme une fleur fanée dans l’étui de fer-blanc du botaniste, mon cœur se desséchait dans ma poitrine. Il me semble que, durant l’hiver, je m’asseyais comme un malade dans une chambre sombre et malsaine, et maintenant voilà que je l’ai quittée tout à coup, et le vert printemps, éveillé par le soleil, resplendit à mes yeux éblouis, et j’entends le bruissement des arbres chargés d’une neige parfumée, et les jeunes fleurs me regardent avec leurs yeux odorans et bariolés, et l’atmosphère pleure et bruit, et respire et sourit, et dans l’azur du ciel les oiseaux chantent : Thalatta ! Thalatta !

O cœur vaillant, qui as mis ton courage à fuir ! combien de fois les beautés barbares du Nord l’ont amoureusement tourmenté ! — De leurs grands yeux vainqueurs, elles me lançaient des traits enflammés ; avec leurs paroles à double tranchant, elles s’exerçaient à me fendre le cœur ; avec de longues épitres assommantes, elles étourdissaient ma pauvre cervelle. Vainement je leur opposais le bouclier, les flèches sifflaient, les coups retentissaient ; elles ont fini par me pousser, ces beautés barbares du Nord, jusqu’au rivage de la mer, et, respirant enfin librement, je salue la mer, la mer aimée et libératrice. — Thalatta ! Thalatta !

  1. Thalatta ou Thalassa, mer.