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L’Évocation.

Le jeune franciscain est assis solitaire dans sa cellule, il lit dans le vieux grimoire intitulé : la Contrainte de l’Enfer.

Et comme minuit sonne, il n’y tient plus, et, les lèvres blêmies par la peur, il appelle les esprits infernaux : Esprits ! tirez-moi de la tombe le corps de la plus belle femme, prêtez-lui la vie pour cette nuit ; — je veux m’édifier sur ses charmes.

Il prononce la terrible formule d’évocation, et aussitôt sa fatale volonté s’accomplit ; la pauvre beauté morte arrive enveloppée de blancs tissus.

Son regard est triste. De sa froide poitrine s’élèvent de douloureux soupirs. La morte s’assied près du moine ; — ils se regardent et se taisent.

Les Ondines.

Les flots battent la plage solitaire ; la lune est levée ; le chevalier repose étendu sur la dune blanche, et se laisse aller aux mille rêveries de sa pensée.

Les belles ondines, vêtues de voiles blancs, quittent les profondeurs des eaux. Elles s’approchent à pas légers du jeune homme, qu’elles croient réellement endormi.

L’une touche avec curiosité les plumes de sa barette ; l’autre examine son baudrier et son heaume.

La troisième sourit, et son œil étincelle ; elle tire l’épée du fourreau, et, appuyée sur l’acier brillant, elle contemple le chevalier avec ravissement.

La quatrième sautille çà et là autour de lui, et chantonne tout bas : à Oh ! que ne suis-je ta maîtresse, chère fleur de chevalerie ! »

La cinquième baise la main du chevalier avec une ardeur voluptueuse ; la sixième hésite, et s’enhardit enfin à lui baiser les lèvres et les joues.

Le chevalier n’est pas un sot ; il se garde bien d’ouvrir les yeux, et se laisse tranquillement embrasser par les belles ondines au clair de lune.

Le Tambour-Major.

C’est le tambour-major. Comme il est déchu ! Du temps de l’empire, il florissait, il était pimpant et joyeux.

Il balançait sa grande canne avec le sourire du contentement ; les tresses d’argent de son habit resplendissaient aux rayons du soleil.

Lorsqu’aux roulement du tambour il entrait dans les villes et les villages, il trouvait de l’écho dans le cœur des femmes et des filles.

Il venait, voyait — et triomphait de toutes les belles ; sa noire moustache était trempée des larmes sentimentales de nos Allemandes.

Il nous fallait bien le souffrir ! Dans chaque pays où passaient les conquérans étrangers, l’empereur subjuguait les hommes, le tambour-major les femmes.

Nous avons long-temps supporté cette affliction, patiens comme des chênes allemands, jusqu’au jour où nos gouvernans légitimes nous insinuèrent l’ordre de nous affranchir.

Comme le taureau dans l’arène du combat, nous avons levé les cornes, secoué le joug français et entonné les dithyrambes de Kœrner.