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Retenu par le charme et les enchantemens de l’ondine, il ne peut ni vivre ni mourir ; voilà déjà deux cents ans que dure son bienheureux martyre.

La tête du roi repose sur le sein de la douce enchanteresse, dont il regarde les yeux avec une amoureuse langueur ; il ne peut jamais les regarder assez.

Sa chevelure d’or est devenue gris d’argent ; les pommettes de ses joues saillissent sous sa peau jaunie ; son corps est flétri et cassé.

Parfois il s’arrache tout à coup à son rêve d’amour, quand les flots bruissent violemment au-dessus de sa tête et que le palais de cristal tremble.

Parfois il croit entendre au-dessus des vagues, dans le vent qui passe, un cri de guerre normand ; il se lève en sursaut, il tressaille de joie, il étend ses bras, mais ses bras retombent lourdement.

Parfois il croit entendre au-dessus de lui des marins qui chantent et célèbrent dans leurs chansons guerrières les exploits du roi Harald Harfagar.

Alors le roi gémit, sanglotte et pleure du fond de son cœur. La fée de la mer se penche vivement sur lui et lui donne un baiser de sa bouche rieuse.


Almanzor.


I.


Dans le dôme de Cordoue s’élèvent treize cents colonnes, treize cents colonnes gigantesques soutiennent la vaste coupole.

Et colonnes, coupole et murailles sont couvertes depuis le haut jusqu’en bas de sentences du Coran, arabesques charmantes artistement enlacées.

Les rois mores, jadis, bâtirent cette maison à la gloire d’Allah, mais les temps ont changé, et avec les temps l’aspect des choses.

Sur la tour où le muezzin appelait à la prière bourdonne maintenant le glas mélancolique des cloches chrétiennes.

Sur les degrés où les croyans chantaient la parole du prophète, les moines tonsurés célèbrent maintenant la lugubre facétie de leur messe.

Et ce sont des génuflexions et des contorsions devant des poupées de bois peint, et tout cela beugle et mugit, et de sottes bougies jettent leurs lueurs sur des nuages d’encens.

Dans le dôme de Cordoue se tient debout Almanzor-ben-Abdullah, qui regarde tranquillement les colonnes et murmure ces mots :

« Ô vous, colonnes, fortes et puissantes autrefois, vous embellissiez la maison d’Allah, maintenant vous rendez servilement hommage à l’odieux culte du Christ !

« Vous vous accommodez aux temps, et vous portez patiemment votre fardeau. Hélas ! et moi qui suis d’une matière plus faible, ne dois-je encore plus patiemment accepter ma charge ? »

Et le visage serein, Almanzor-ben-Abdullah courba sa tête sur le splendide baptistère du dôme de Cordoue.


II.


Il sort vivement du dôme et s’élance au galop de son coursier arabe ; les