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et si bien compris le moyen-âge. La force des images et le sentiment de la beauté ont rendu pour quelques strophes notre ricaneur sérieux ; mais voilà qu’il se moque de sa propre émotion et passe sur ses yeux remplis de larmes sa manche bariolée de bouffon, et fait sonner bien fort ses grelots et vous éclate de rire au nez. Vous avez été sa dupe ; il vous a tendu un piège sentimental où vous êtes tombé comme un simple Philistin. — Il le dit, mais il ment ; il a été attendri en effet, car tout est sincère dans cette nature multiple. Ne l’écoutez pas, quand il vous dit de ne croire ni à son rire ni à ses pleurs ; rire d’hyène, larmes de crocodile ; — pleurs et rires ne s’imitent pas ainsi !

Le Buch der Lieder (Livre des chants) contient plusieurs ballades où, malgré l’accent railleur, palpite la vie intime des temps passés. Le chevalier Olaf se fait remarquer par le plus habile mélange de grâce et de terreur. Cela est charmant et cela donne froid dans le dos. — Olaf a séduit la fille du roi ; il faut qu’il l’épouse pour légitimer sa faute, mais il doit payer, la noce achevée, sa hardiesse de sa tête ! La princesse est pâle comme une morte, le roi sombre et soucieux, le bourreau attendri ; le chevalier Olaf seul salue d’un air gai son beau-père et sourit de ses lèvres vermeilles ; il ne regrette pas ce qu’il a fait et ne trouve pas son bonheur acheté trop cher. Il envoie un adieu plein de reconnaissance à tout ce qui l’entoure, à la nature, à la providence, aux beaux yeux couleur de violette lui ont étés ! fatals et si doux ! — Quel tableau grandiose et fantastique que celui du roi Harald Harfagar endormi au fond de la mer dans les bras d’une ondine amoureuse, et qui tressaille lorsque les vaisseaux des pirates normands passent au-dessus de sa tête ! — Et dans la ballade d’Almanzor, qui, voyant dans la mosquée de Cordoue les colonnes de porphyre continuer à soutenir les voûtes de l’église du dieu des chrétiens comme elles avaient porté la coupole du temple d’Allah, courbe sa tête sous l’eau du baptême et trouve le moyen de rester le dernier à la fête d’une galante châtelaine, si bien que les colonnes indignées se rompent et croulent en débris, faisant hurler de douleur anges et saints sous leurs décombres, — quelle verve sceptique ! quelle haute philosophie à travers le luxe éblouissant des images et l’enchantement oriental de la poésie ! Le Romancero morisco n’a rien de plus vif, de plus éclatant, de plus arabe ; mais à quoi bon donner un échantillon, quand on peut ouvrir l’écrin lui-même ?


LE CHEVALIER OLAF.


I.


Devant le dôme se tiennent deux hommes, portant tous deux des manteaux rouges ; l’un est le roi, l’autre est le bourreau.

Et le roi dit au bourreau : — Au chant des prêtres, je vois que la cérémonie va finir ; tiens prête ta bonne hache.

Les cloches sonnent, les orgues ronflent, et le peuple s’écoule de l’église. Au milieu du cortège bigarré sont les nouveaux époux en costume d’apparat.

L’une est la fille du roi : elle est triste, inquiète, pâle comme une morte ;