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Quelques jours d’une navigation fatigante et périlleuse succédèrent aux jours de repos que nous avions passés à Boa-Vista. Nous atteignîmes ainsi le village de Pexe, où nous devions abandonner nos embarcations pour continuer par (erre notre route vers Goyaz. Avant d’arriver à Pexe, nous ne rencontrâmes qu’un seul point intéressant : c’est le village de Porto-Imperial, qui, sous le régime colonial, portait le nom de Porto-Real, et se trouve ainsi indiqué sur la plupart des cartes. Ici s’offrit à nous une misérable population, mise en couple réglée par les sauvages. Une terreur continuelle pèse sur les habitans de Porto-Imperial. Les femmes n’osent pas aller à la fontaine laver leur linge et chercher de l’eau sans être accompagnées d’une nombreuse escorte d’hommes armés de fusils. Accablée par tant de maux, auxquels la famine vient nécessairement joindre ses atteintes, cette population, décimée chaque année, disparaîtra bientôt, si des secours efficaces ne lui sont donnés.

A partir de Pexe, nous allions rencontrer sur terre des dangers et des obstacles non moins redoutables que les cascades si péniblement franchies du Tocantin. Il fallait traverser les déserts qui forment le vaste delta bordé d’un côté par l’Araguaïl, de l’autre par le Tocantin. Notre marche fut ralentie, non-seulement par la fatigue et l’épuisement de nos mules, dont plusieurs ne purent nous suivre, mais aussi par les précautions qu’il fallut prendre contre les tribus sauvages disséminées dans ces solitudes. Nous étions sur le territoire de deux peuplades renommées pour leur cruauté, les Chavantes et les Canouères. Bien que n’étant pas anthropophages, ces derniers sont plus redoutés encore que les Chavantes, et l’esprit a peine à admettre les traditions qui courent à leur sujet dans le pays. Naviguant constamment sur le Tocantin, les Canouères ont l’habitude d’attacher les malheureux tombés entre leurs mains, et particulièrement les femmes, aux extrémités de leurs pirogues ; ces infortunés se trouvent ainsi plongés dans l’eau chaque fois que la frêle embarcation s’élance au milieu des nombreuses cascades qui interrompent le cours de la rivière. J’ai rencontré une pauvre femme qui n’avait été arrachée aux mains de ces misérables qu’après avoir vécu trois jours au milieu de ces tortures.

Les plaines désolées qui s’étendent entre l’Araguaïl et le Tocantin conservent encore çà et là quelques traces de la civilisation dont l’influence bienfaisante les avait autrefois fécondées. Çà et là s’élèvent des bosquets de bananiers, d’orangers, ombrageant des ruines. Les rares villages qu’on traverse sont dépeuplés ; la plupart des maisons sont incendiées. Le petit hameau d’Amaroléité, que nous eûmes à traverser, ne contenait plus qu’une douzaine d’habitans réduits au désespoir ; tout le reste était déjà tombé sous la massue des sauvages, et, bien que les survivans fussent assurés de partager bientôt le même sort, l’amour du