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inhabitée ; mais la terre ferme qui s’étend à droite appartient à diverses nations sauvages dont nous avions à craindre les attaques, et parmi lesquelles on doit placer en première ligne les Chavantes. Ces sauvages n’ayant pas de pirogues, les eaux de cette partie du fleuve fourmillent d’animaux qui ne sont jamais inquiétés par la présence de l’homme. Parmi les nombreuses espèces de poissons dangereux qu’on y rencontre, nous ne citerons que la piragna, qui, bien que n’ayant que trois à quatre décimètres de long, est plus à redouter pour le baigneur que le crocodile le plus féroce. Des dents saillantes et assez semblables à celles de l’homme garnissent sa bouche, et en un instant elle enlève les morceaux de la chair de l’imprudent qui s’expose à ses attaques. Dès que le sang coule, des milliers de piragnas s’élancent de toutes parts, et l’homme sur lequel elles s’acharnent est dévoré presque aussitôt, à moins que les nombreux oiseaux aquatiques ennemis de ces poissons ne viennent à son secours. Il faut dire que les plages baignées par l’Araguaïl sont littéralement couvertes d’oiseaux. D’énormes jabiru, de jolies aigrettes du blanc le plus pur, se balancent sur les branches des arbres qui ombragent la rivière, et ressemblent de loin à d’immenses fleurs suspendues aux rameaux. Les hérons, les oies, les ibis, les savacous, abondent aussi dans ces déserts, ainsi qu’une espèce d’engoulevent, qui, à la différence de ses congénères, a l’habitude de se réunir par troupes nombreuses au soleil le plus ardent. J’ai déjà parlé des crocodiles qui peuplent les eaux de l’Araguaïl : ils appartiennent à trois espèces distinctes. Deux sont fort communes ; on les connaît dans le pays sous le nom de jacaré-preto et de jacaré-tinga. La première atteint une longueur de quatre à cinq mètres et est entièrement noire, avec quelques petites bandes jaunâtres sur la queue ; la seconde ne dépasse guère un mètre de long : elle est variée de gris et de jaune, et sa chair sert de nourriture aux naturels. Je ne pus me procurer la troisième, qui est très rare et qui est, dit-on, noire avec la gorge jaune ; celle-ci atteint des dimensions colossales. Un jour, nos pêcheurs parvinrent à harponner un crocodile de cette dernière espèce ; mais son poids était tel qu’ils ne purent le traîner sur le rivage. Ils m’envoyèrent un d’entre eux pour m’informer de ce qui se passait, et aussitôt j’expédiai vingt hommes pour les aider à tirer la corde du harpon ; mais le monstrueux amphibie parvint à rompre ce câble et s’enfuit, emportant le harpon enfoncé dans son corps.

Les reptiles se montrent aussi en très grand nombre sur les bords de l’Araguaïl, et nous trouvâmes plusieurs serpens à sonnette, ainsi que plusieurs grandes vipères et des couleuvres de petite taille, parées des plus jolies couleurs, dont l’écarlate le plus éclatant formait la base. Quelquefois, vers le soir, les sons les plus étranges sortaient du fond des eaux ; c’étaient des grognement prolongés et répétés à l’infini : ce