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tint religieusement sa parole, et une alliance étroite s’établit entre le vieux nègre et les Carajas. De tels antécédens désignaient trop naturellement Ricardo à la dignité de premier pilote, pour que j’hésitasse à la lui accorder, et je n’eus par la suite qu’à me louer d’un pareil choix.

Notre séjour à Salinas ne fut pas seulement rempli par les préparatifs de l’excursion sur l’Araguaïl, nous fîmes aussi plusieurs courses aux environs. Parmi les curiosités naturelles qui nous frappèrent dans ces promenades, je dois citer un lac ravissant connu sous le nom de Lac des Perles. On y trouve effectivement en grande quantité une belle espèce d’anodonte dont les valves sont à l’intérieur agréablement irisées, et contiennent quelquefois des perles d’une assez médiocre valeur. Sur les bords de ce lac, nous tuâmes, pour la première fois, le kamichy, oiseau singulier de la taille du dindon, ayant une longue corne au milieu du front. Les habitans de Salinas attribuent des vertus merveilleuses à cette partie de l’animal et la regardent comme un remède certain contre toutes les maladies. Un autre magnifique habitant de ces bois est l’ara-hyacinthe, le plus gros des perroquets connus, et dont le plumage est entièrement d’un violet foncé. On y rencontre encore le hoazin de Buffon, à la tête huppée, et qui rappelle les oiseaux de fantaisie que peignent les Chinois ; son cri ressemble à un grognement éclatant. Le hoazin est très commun dans ces régions.

Enfin, tous les préparatifs étant terminés, et rien ne s’opposant plus à notre départ, nous nous rendîmes au petit port de la Coroïne, situé sur la rivière de Crixas, l’un des affluens de l’Araguaïl. C’était là que nous devions nous embarquer. Tous les habitans du village nous avaient accompagnés jusqu’à ce port ; le curé était venu y dire la messe et bénir nos canots. En vertu des pouvoirs dont j’étais muni, j’emmenai avec moi toute la garnison de Salinas, et notre équipage se trouva ainsi composé d’une cinquantaine d’hommes. Le 10 juin, nous nous embarquâmes au milieu des coups de fusil, des cris des femmes et des chants joyeux des jeunes gens, heureux de voir des choses nouvelles et d’affronter des dangers inconnus.

Après quelques heures de navigation, nous débouchâmes dans l’Araguaïl. Rien ne peut rendre la majesté de ce fleuve, roulant tranquillement la masse de ses eaux au milieu des forêts vierges. Le lendemain, nous atteignîmes la pointe sud de la grande île Bananal, formée par le fleuve, qui se divise en deux bras. La nécessité de déterminer astronomiquement la position de cette île nous y retint deux jours. Tout dans le paysage que nous avions sous les yeux nous rappelait les bords de la mer : la plage d’un sable blanc sur laquelle nous campions, l’immense masse d’eau qui nous entourait, les mouettes qui planaient au-dessus de nos têtes en poussant des cris aigus, et jusqu’aux dauphins qui se jouaient au milieu de la jrivière. L’illusion était vraiment