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Le gracieux mauritia, connu au Brésil sous le nom de buriti, et remarquable par ses nombreux rameaux, forme des avenues régulières de chaque côté des nombreux ruisseaux qui baignent ces plaines fertiles. Nous vîmes alors, pour la première fois, le bel ara bleu et jaune, qui se tient de préférence dans ces arbres et qui assourdit le voyageur par ses cris rauques et aigus. Plusieurs jolies espèces de singes de la plus petite taille se jouaient aussi dans le feuillage ; ils appartenaient à la famille des ouistiti. Pourquoi faut-il que ce séjour merveilleux soit habité par des hordes barbares qui obligent à chaque instant le voyageur à songer à sa défense et à tenir constamment prêtes des armes mortelles ? Que ne peut-on s’égarer sans danger sous ces ravissans bosquets et oublier pour un instant les soucis du monde dans ce paradis terrestre ?

C’est à travers ces solitudes enchantées que nous arrivâmes au petit village de Salinas. Les maisons de ce village sont assez misérables et construites en paille, mais les environs sont des plus rians, et les habitans nous parurent fort heureux. Aucun n’était blanc ; mais, ainsi que presque tous les Brésiliens de l’intérieur, ils offraient un mélange confus des races de l’Europe et de l’Afrique entées sur celles des habitans primitifs du continent. Plusieurs étaient de pur sang indien et appartenaient à la nation des Chavantes. Un jeune curé réside parmi eux et se fait aimer par ses vertus évangéliques.

Je vis à Salinas, pour la première fois, quelques-uns des fils primitifs de l’Amérique du Sud, dans leur accoutrement naturel, c’est-à-dire dans une nudité complète. Leur peau est brune ; leur figure est large, plate et presque carrée ; leurs yeux sont relevés aux angles externes ; leurs cheveux, droits et noirs, sont coupés carrément sur le front et pendent flottans sur les épaules. Leur corps était barbouillé irrégulièrement d’une teinture bleu-noir tirée d’un fruit du pays appelé genipapo. Ces sauvages appartenaient à la nation des Carajas et portaient sur chaque pommette un tatouage circulaire de couleur noire ; ils étaient armés de flèches et de massues ; leur stature était généralement petite, mais ils étaient fortement organisés et avaient la tête très enfoncée dans les épaules. Les femmes s’enfuirent à notre approche ou s’accroupirent à terre ; elles semblaient, à l’aspect d’étrangers, s’apercevoir pour la première fois de leur nudité. Ces Indiens arrivaient de l’Araguaïl ; ils venaient à Salinas pour se procurer quelques objets dont ils avaient besoin : les Brésiliens, avec leur bonté habituelle, les avaient parfaitement accueillis, et chaque famille du pays en avait pris quelques-uns à sa charge.

Les renseignemens que je m’empressai de recueillir à Salinas furent loin d’être satisfaisans. On nous attendait depuis long-temps dans ce village, grâce à la bienveillante sollicitude du gouvernement impérial ;