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mais pour ceux qui s’en trouvent à une grande distance, l’effet est précisément inverse. Voilà pourquoi la révolution de Cromwell n’eut presque point d’influence sur son siècle, et pourquoi aussi elle a été copiée avec tant d’ardeur de nos jours. Il en sera de même de la révolution française, qui, quoi qu’on en dise, n’aura pas un effet très considérable sur les générations contemporaines, et peut-être bouleversera l’Europe future. »

Ainsi, en 1797, au moment où la France républicaine fonde des républiques partout où elle porte ses drapeaux, un écrivain obscur, caché dans un grenier à Londres, prévoit que ce premier mouvement révolutionnaire, qui menace toutes les monarchies de l’Europe, s’arrêtera, que l’ordre nouveau reculera jusqu’à rentrer dans l’ordre ancien, pour revenir ensuite à son point de départ et recommencer sa marche d’un pas plus ferme, plus large et plus sûr. N’est-ce point ainsi que les choses se sont passées ? Que restait-il de la révolution en 1807, lorsqu’un soldat, entouré de tout un attirail de ducs, de comtes et de barons, disait à la France ébahie : « Je suis content de mes peuples ? »

Qui pourrait méconnaître qu’aujourd’hui, en 1848, après février, nous sommes plus rapprochés de la révolution française qu’en 1807 ? et combien sont frappantes les prophéties du jeune émigré, quand on les compare aux prophéties que traçait, à la même époque, à Saint-Pétersbourg, un autre émigré ! M. de Maistre, dont on cite quelquefois, en l’honneur du jacobinisme, une ou deux maximes fausses, dont le but était de prouver que le jacobinisme sauvait la monarchie, M. de Maistre écrivait, à la même date que l’auteur de l’Essai : « Ce qui distingue la révolution française et ce qui en fait un événement unique dans l’histoire, c’est qu’elle est mauvaise radicalement ; aucun élément de bien n’y soulage l’œil de l’observateur : c’est le plus haut degré de corruption connu, c’est la pure impureté [1]. » S’ élançant ensuite dans l’avenir, le prophète de Pétersbourg pronostiquait hardiment que l’aboutissement suprême de la révolution serait « l’exaltation des rois et des familles CO-SOUVERAINES (la noblesse), qui ne peuvent souffrir qu’une éclipse. » L’avenir paraît, du moins jusqu’ici, faire assez peu de cas des prophéties de M. de Maistre, et nous préférons celles de M. de Chateaubriand.

Un émigré qui saisit ainsi le véritable caractère et pressent les destinées de la révolution ne deviendra jamais pour elle un ennemi irréconciliable, et l’on peut prévoir que, s’il est un jour conduit par les circonstances à la combattre sur plus d’un point, ce ne sera jamais sans lui emprunter une partie de ses armes et s’imprégner à un certain degré de son esprit. C’est, en effet, ce qui est arrivé à M. de Chateaubriand :

  1. Considérations sur la France, p. 70.