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l’on est. » Le récit de ce voyage en Amérique, refait en grande partie, a été orné de détails intimes que ne comportait pas la publication déjà connue.

Un an après, en juin 1792, M. de Chateaubriand se retrouve à Paris, en présence de la révolution, et les Mémoires, après un résumé historique des faits accomplis pendant l’absence du voyageur, nous font assister derechef à toutes les scènes de ce nouvel acte d’un drame où déjà tout est changé, car les années y comptent pour des siècles. « Paris, dit M. de Chateaubriand, n’avait plus, en 1792, la physionomie de 1789 et de 1790, ce n’était plus la révolution naissante, c’était un peuple marchant, ivre, à ses destins, au travers des abîmes, par des voies égarées. L’apparence du peuple n’était plus tumultueuse, curieuse, empressée ; elle était menaçante. On ne rencontrait dans les rues que des figures effrayées ou farouches, des gens qui se glissaient le long des maisons, afin de n’être pas aperçus, ou qui rôdaient cherchant leur proie, des regards peureux et baissés se détournaient de vous, ou d’âpres regards se fixaient sur les vôtres pour vous deviner et vous percer Dans la population parisienne se mêlait une population étrangère de coupe-jarrets du Midi. L’avant-garde des Marseillais, que Danton attirait pour la journée du 10 août et les massacres de septembre, se faisait reconnaître à ses haillons, à son teint bruni, à son air de lâcheté et de crime, mais de crime d’un autre soleil. »

Dans ce cadre général se viennent grouper les nouvelles figures que la tempête révolutionnaire a élevées à la surface de la société, Marat, Danton, Camille Desmoulins, Fabre d’Églantine, Fouché, Chaumette, tous meneurs du club des Cordeliers, la plus redoutable alors des deux assemblées populaires qui déjà maîtrisaient la France par la peur. M. de Chateaubriand n’a point vu, en 1792, le club des Jacobins, où commençait à régner Robespierre. Cette dernière célébrité ne lui est apparue que deux ans auparavant, dans la Constituante, au commencement de 1790, à une époque où elle ne comptait pas encore ; et, comme à cette époque il ne s’est point aperçu qu’elle eût cet air formidable dont ses admirateurs d’aujourd’hui la gratifient rétroactivement, il lui accorde dans sa galerie tout juste la somme d’importance qu’elle avait en 1790, c’est-à-dire, qu’il la dessine en deux coups de crayon. « A la fin d’une discussion violente, je vis, dit-il, monter à la tribune un député d’un air commun, d’une figure grise et inanimée, régulièrement coiffé, proprement habillé comme le régisseur d’une bonne maison ou comme un notaire de village soigneux de sa personne. Il fit un rapport long et ennuyeux : on ne l’écouta pas ; je demandai son nom, c’était Robespierre. »

Dans la galerie de portraits de 1792, nous ne retrouvons plus Robespierre, ou du moins il n’y figure qu’accessoirement ; ainsi, un grand