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parfaitement, et cela est bon à noter pour les douteurs qui, à l’aspect des brillans tableaux de M. de Chateaubriand, seraient tentés de croire que chez lui aussi l’imagination ne se contente pas de colorer la vérité. Ceux qui ont voyagé, l’Itinéraire à la main, assurent que l’illustre peintre est du très petit nombre des artistes à la plume dont on reconnaît les paysages sur les lieux ; il est donc permis d’espérer que cette faculté d’exactitude se retrouvera dans la peinture des hommes et des choses de la révolution, et le sans-façon de plus en plus étrange avec lequel de nos jours on fait de l’histoire donnera un nouveau prix à ce mérite.

On la verra revivre dans les Mémoires, cette société élégante, frivole et caduque qui jouait au bord de la tombe ; on la verra esquissée à grands traits, mais avec ses principales figures, depuis ce roi incertain, timide, embarrassé devant un jeune officier qui devait être un jour « chargé de démêler ses ossemens parmi des ossemens, » depuis cette reine qui « semblait enchantée de la vie, et dont les belles mains, qui soulevaient avec tant de grâce le sceptre de tant de rois, devaient, avant d’être liées par le bourreau, ravauder les haillons de la veuve à la Conciergerie, » jusqu’aux derniers et chétifs représentans d’une école philosophique et littéraire, veuve de ses chefs, mais qui portait la révolution dans ses flancs.

Après avoir peint les hommes, M. de Chateaubriand peint les choses avec cette supériorité d’historien qui résume une situation en quelques lignes. « À cette époque (1787), tout était dérangé dans les esprits et dans les mœurs, symptôme d’une révolution prochaine. Les magistrats rougissaient de porter la robe et tournaient en moquerie la gravité de leurs pères ; les Lamoignon, les Mole, les Séguier, les d’Aguesseau, voulaient combattre et ne voulaient plus juger. Les présidentes, cessant d’être de vénérables mères de famille, sortaient de leurs sombres hôtels pour devenir des femmes à brillantes aventures ; le prêtre en chaire évitait le nom de Jésus-Christ et ne parlait plus que du législateur des chrétiens ; les ministres tombaient les uns sur les autres, le pouvoir glissait de toutes les mains. Le suprême bon ton était d’être Américain à la ville. Anglais à la cour. Prussien à l’armée, tout, excepté Français. Ce que l’on faisait, ce que l’on disait n’était qu’une suite d’inconséquences. On prétendait garder des abbés commandataires, et l’on ne voulait point de religion ; nul ne pouvait être officier, s’il n’était gentilhomme, et l’on déblatérait contre la noblesse ; on introduisait l’égalité dans les salons, et les coups de bâton dans les camps. » Mais la scène change, l’édifice lézardé craque de toutes parts, et le sol commence à trembler. L’auteur des Mémoires nous transporte au sein de cette orageuse assemblée des états de Bretagne, où la démocratie, conduite par un jeune étudiant qui se fera un jour une place dans l’histoire, par Moreau, donne l’assaut au patriciat. Assiégée dans la salle des états, la noblesse bretonne