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les abominations qui ont commencé par n’être que de mauvaises figures de rhétorique, on pourrait, sous ce titre : « Des abus de la métaphore en France et de ses funestes effets depuis soixante ans, » composer un livre qui ne manquerait ni d’utilité ni d’à-propos.

Lorsque l’abbé Raynal, le modèle et le type le plus complet de ce genre déclamatoire qui a pris naissance à la fin du dernier siècle et qui règne encore aujourd’hui ; lorsque l’abbé Raynal, effrayé des premiers résultats de l’anarchie, écrivit à l’Assemblée nationale sa fameuse lettre du 31 mai 1791, dans laquelle, en protestant contre des excès, il protestait contre lui-même, dont la plume n’avait été qu’un excès continuel, l’abbé Raynal oubliait que ses métaphores n’avaient pas peu contribué à pervertir la cause de la justice et de la liberté ; il oubliait que c’était lui, bonhomme du reste, qui, par pur amour de l’effet, dans un livre dont on ne parle plus, mais qui fit fureur comme tant d’autres livres, avait écrit, entre mille phrases de même calibre, celle-ci, par exemple : « Quand donc viendra cet ange exterminateur qui abattra tout ce qui s’élève et qui mettra tout au niveau ? » Pour le digne abbé philosophe, ce n’était là qu’une figure de rhétorique accommodée au goût du jour. En la voyant se transformer en réalité, il en eut horreur. « Serait-il donc vrai, écrivait-il naïvement à des hommes sur qui pesait le poids de ses déclamations, serait-il donc vrai qu’il fallût me rappeler avec effroi que je suis un de ceux qui, en éprouvant une indignation généreuse contre le pouvoir arbitraire, ont peut-être donné des armes à la licence ? » Cela était parfaitement vrai ; les bonnes causes se gâtent et se perdent par l’exagération et l’enflure des mauvais avocats, et la révolution n’eut pas d’avocat plus enflé, plus exagéré et d’abord plus goûté, plus admiré que Thomas Raynal. Égarée par lui-même, elle lui emprunta sa mauvaise phraséologie ; elle fit plus, elle la mit en action, elle méprisa ses conseils, se moqua de son repentir, l’obligea plus tard de cacher sa tête, et la postérité a fini par lui infliger la peine qu’elle réserve à l’emphase dénuée de talent ou au talent dénué de bon sens, de raison et de goût : elle lui a infligé l’oubli. Combien parmi les écrivains du jour devraient méditer l’exemple de Raynal !

Un esprit délicat et raffiné, difficile pour lui-même et pour les autres, et que la haine de la déclamation poussait jusqu’au fanatisme de la subtilité, un ami de M. de Chateaubriand duquel on a publié des pensées qui rappellent et continuent La Rochefoucauld et La Bruyère ; un Limosin enfin, bien différent de celui de Rabelais, M. Joubert, disait : « Il n’y a point de beau et bon style qui ne soit rempli de finesses délicates ; la délicatesse et la finesse sont seules les véritables indices du talent. » Il y a quelque exagération dans la dernière partie de cette maxime, et nous préférons la première ; mais, s’il étail vrai que la délicatesse