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CHRONIQUE DE LA QUINZAINE.


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30 juin 1848.

Nous écrivons sous le poids d’une tristesse profonde, non pas découragés, mais désolés, l’esprit frappé comme au sortir d’un rêve épouvantable, le cœur en deuil, parce que ce rêve était bien une réalité. Quatre jours durant, quatre jours longs comme des siècles d’angoisses, le sang a coulé dans nos rues, et Paris a vu des horreurs qu’il n’avait peut-être pas vues depuis le temps des Bourguignons et des Armagnacs. Nous sommes tout d’un coup retombés en plein moyen-âge : on avait commencé par restaurer les corporations, on a fini par ressusciter les cabochiens. Voilà pourtant où nous ont menés les beaux discours de ces intrigans déclamateurs, de ces sophistes criminels, qui depuis février n’ont pas cessé de marcher à l’assaut du pouvoir, en couvrant leur misérable égoïsme du manteau de la fraternité. Voilà l’ère nouvelle, l’ère de régénération qu’ils annonçaient au monde comme le véritable Eldorado de l’avenir : un affreux plagiat de nos plus sombres histoires. Voilà le gouffre où sont venus s’abîmer ces politiques à double face, qui trouvaient glorieux de s’imposer à la société en la fascinant par la crainte d’un mal plus cruel que n’était encore leur pauvre domination : ils ont été renversés par ce torrent dont ils menaçaient toujours de déchaîner les eaux furieuses, sans penser qu’il ne devait point leur appartenir de les refouler dans leur lit, une fois déchaînées.

Il est difficile de raconter dès à présent toute cette tragédie ; il faut d’abord que lumière se fasse autour des personnages comme autour de l’action. Déjà cependant lumière est faite sur la cause originaire de ces grands désastres, et, quelles que soient les révélations particulières qui puissent se produire dans l’enquête, il n’est pas besoin de l’enquête pour remonter jusqu’au principe de la guerre détestable à laquelle nous avons enfin échappé. Ce principe, tel que nous le signalons sans relâche depuis la révolution qui a fondé la république, c’est une équivoque artificieusement entretenue et exploitée comme un moyen de gouvernement. La république arrivait trop tôt, M. Goudchaux lui-même l’a dit l’autre jour à la tribune. Les républicains de la veille ne s’étaient point suffisamment apprêtés à triompher si vite, et les différences qui les séparaient de leurs anciens voisins de l’opposition n’étaient point assez essentielles pour don-