Page:Revue des Deux Mondes - 1848 - tome 23.djvu/113

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ensemble. Ombres du passé marchant au milieu du présent, chinoiseries qui prophétisent, voilà les dieux inconnus, voilà les vérités rapportées depuis vingt ans des voyages de la spéculation. Ne pensez-vous pas qu’il faudrait envoyer tout cela quai Voltaire, chez quelque marchand de bric-à-brac ?

O vous qui savez, pensez et aimez, tâchez donc de conjurer ces fantômes par quelque signe sacré ! Sachez que l’idée religieuse seule peut faire cesser cette anarchie. Autrefois les spectres s’évanouissaient au signe de la croix. Ils encombraient les carrefours au milieu de la nuit, attristant l’écho par des paroles diaboliques, remplissant l’air d’une odeur de soufre, assombrissant la nature ; mais, si quelque passant, portant au cœur le respect de Dieu et du bien et la haine du diable et du mal, faisait le signe du salut ou prononçait le nom du Christ, soudain les spectres rentraient dans leurs ténébreuses demeures, soudain l’air redevenait pur, et, la rosée du matin effaçant les infernales traces, la nature, belle comme auparavant, recommençait à produire de nouvelles fleurs et de nouveaux fruits. Puisse-t-il en être aujourd’hui de même ! O vous, dieux que maintenant nous adorons ; Mammon, toi dont l’éclat métallique nous séduit et dont l’or brûle lorsqu’on le touche, comme dans les légendes ; Bélial, dieu des disputes, des querelles, des phrases anarchiques et enflammées, dieu des avocats et des boxeurs ; Moloch, auquel on sacrifiait les enfans, toi qui présides à la haine, qui chéris le mal, qui vis dans l’élément du feu, et toi, Astarté, qu’ont adorée en plein soleil des sectes sans nombre, toi que les religions des joies de la chair ont dû taire tressaillir, dites quel est le signe sacré, quel est le mot de salut qui fera cesser votre règne et vous fera dissiper en fumée. Nous attendons dans l’anxiété le grand homme, le prophète, le génie inspiré qui renouvellera l’existence dans l’ame des peuples, qui nous délivrera enfin des ténèbres et des fausses lumières des sectes, feux follets que nous prenons pour des lueurs véritables, et qui naissent simplement des gaz dégagés par les marais croupissans et les charniers de la société.

L’anarchie est à son comble, et toutes les forces de la pensée se combattent, se neutralisent mutuellement. Les sectes se sont montrées, se montrent de plus en plus impuissantes, les formes religieuses ont de jour en jour moins d’autorité. Je me tourne de tous côtés pour apercevoir le remède intellectuel, et je ne le vois pas. L’économie politique s’amuse à décrire l’état social, entasse des chiffres, fait des additions ; le socialisme parle, prophétise, entasse des phrases, fait du lyrisme ; le journalisme, que nous sommes habitués à considérer comme le paratonnerre qui attire ou détourne la foudre, s’est tout à coup prouvé impuissant et s’est placé au-dessous de la situation. La société tout entière ressemble à un écolier qui chercherait un nombre dans la table des logarithmes sans parvenir à le trouver. Eh bien ! je vous l’assure, l’heure est critique. Laissez là vos systèmes, votre bagage de journalistes ou d’avocats ; tâchez de trouver quelque chose de neuf et de vrai ; cessez de faire des proclamations et des premiers-Paris où vous entonnez les louanges de la glorieuse révolution et autres choses semblables, car nous sommes maintenant un peuple prosaïque, et le temps des hymnes est passé ; cessez de faire des romans socialistes : la réalité nous presse, et il nous est impossible d’oublier nos souffrances en songeant à des félicités imaginaires. Si, au milieu de vos polémiques, vous avez quelquefois songé à comprendre et à savoir, si vous