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républicaine ? N’ai-je pas hautement professé ma haine contre les rois, les nobles, les prêtres, en un mot tous les ennemis de la raison et de la liberté ? N’est-ce pas moi qui ai donné pour devise à nos soldats entrant en pays ennemi : Guerre aux châteaux, paix aux chaumières ? » Cependant, sur la dénonciation d’un misérable, Tobiesen Duby, un subalterne de la Bibliothèque nationale, Chamfort fut conduit en prison.

Les hommes politiques étudieront Chamfort comme un philosophe en pleine révolution. Il a ses heures de colère et de folie, mais presque toujours il domine sa raison souveraine. Tout homme de bonne foi, s’il écoute les battement passionnés de son cœur, aura connu, disait Rivarol, « ses jours nocturnes » dans les luttes politiques. C’est là, sur cette mer toujours agitée, que le point de vue varie à tout instant. En politique, on a toujours raison, mais on vient le plus souvent trop tôt ou trop tard. Combien peu arrivent à temps ! Tel qui passe aujourd’hui pour un fou sera étudié dans cinquante ans, demain peut-être, comme un profond législateur. Que d’éloquent exemples depuis les encyclopédistes !

Chamfort n’avait pas pressenti la révolution. Il n’était pas de ces apôtres brûlans qui viennent au monde pour rappeler le divin révolutionnaire qui naquit à Bethléem. Homme d’esprit bien plutôt qu’homme de pensée, il avait le rire de Rabelais ou de Sterne et non le pleur sauvage de Jean-Jacques Rousseau ; en un mot, Démocrite était son maître et Heraclite son fou. Cependant cette grande époque de 1789 avait retrempé tous les cœurs à la source vive des passions. Les plus indifférens se jetaient avec enthousiasme dans le flux régénérateur, où la liberté humaine venait d’être trempée comme Achille dans le Styx. Chamfort s’y jeta éperdument, heureux de se retrouver jeune en face de la liberté cette maîtresse idéale que nous avons tous adorée en pleine jeunesse. Chamfort, par une philosophie stérile, avait bridé toutes ses passions ; craignant leurs emportemens généreux, il lâcha la bride à sa cavale révolutionnaire. Passionné pour l’inconnu, il n’eut pas besoin des éperons d’or de son ami Mirabeau ; il était de toutes les assemblées dans la rue et dans les clubs, coudoyant Robespierre et Barnave, les rouges et les blancs, avec Mirabeau à Versailles, avec Camille Desmoulins au Palais-Royal. Changeant comme le ciel de Paris, il parlait tour à tour pour tout le monde et contre tout le monde. « L’histoire, s’écriait-il aux Jacobins, n’est qu’une suite d’horreurs. Si les tyrans la détestent pendant leur vie, il semble que leurs successeurs souffrent qu’on transmette à la postérité les crimes de leurs devanciers pour faire diversion à l’horreur qu’ils inspirent eux-mêmes. » Le lendemain, il parlait ainsi : « Prenons garde a nous, nous ne sommes que des Français et nous voulons être des Romains. Le caractère des Français est composé des qualités du singe et du chien couchant. Drôle et gambadant