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vieux levain des haines léguées par le moyen-âge n’est point encore étouffé ; à peine pouvez-vous réunir une partie de l’Italie sous le sceptre qui vient de la délivrer d’une lourde servitude, et vous vous flatteriez de pouvoir fondre ces antipathies encore si vivaces dans les orageux débats d’une assemblée nationale unique ! Mais le despotisme de Richelieu et de Louis XIV avait depuis deux cents ans façonné la France à l’unité, et ce n’est néanmoins qu’au prix du sang que la Convention a pu se maintenir. M. Mazzini pense-t-il que l’Italie soit mieux préparée ? Tout au plus l’unité pourrait-elle être obtenue plus tard au profit de la maison de Savoie, en supposant une compensation et un dédommagement au grand-duc, qui, par ses vertus et ses dispositions libérales, a bien mérité de l’Italie, en admettant aussi la déchéance du roi de Naples, hypothèse plus réalisable si l’on considère la marche suivie par Ferdinand II et la tournure que prennent les affaires de son royaume. Resterait toujours l’obstacle de la papauté, et de toute façon ce projet ne se réaliserait pas sans violence, car nous ne savons si les Napolitains s’en accommoderaient fort ; dans le cas où les Légations y donneraient les mains, le peuple de Rome, à coup sûr, ne voudrait point qu’on lui ôtât son pape, et les Toscans témoignent, dès à présent, un trop vif mécontentement contre les menées des albertistes pour qu’on puisse espérer de les amener à un échange de domination auquel ils n’auraient sûrement rien à gagner sous le rapport du bien-être et de la liberté.

La formation du royaume de l’Italie septentrionale était cependant un pas vers l’unité et une transition que M. Mazzini, pour être conséquent avec ses principes, devait aider et soutenir. Une conformité plus grande d’opinions devait d’ailleurs le rapprocher de la fraction des albertistes, unitaires comme lui, mais au profit de la monarchie. Aussi M. Mazzini annonçait-il son intention de se prêter au mouvement actuel ; il promettait son concours et celui de ses amis sous toute réserve des doctrines. Malgré cette assurance, les habitudes agressives du parti n’ont pas tardé à se manifester. L’Italia del Popolo a fait, dès les premiers jours, une opposition vigoureuse et souvent peu loyale au gouvernement provisoire de Milan. Par un décret du 12 mai, celui-ci appelait la nation à voter sur la question de l’annexion de la Lombardie au Piémont ; des registres devaient être ouverts dans toutes les paroisses, sur lesquels chaque citoyen viendrait apposer son vote. Les républicains attaquèrent le décret comme illégal, et la mesure comme tout-à-fait illibérale et impropre à exprimer la volonté nationale. L’Italia del Popolo inséra une protestation signée de plusieurs chefs de clubs et rédacteurs de journaux dans laquelle la conduite du gouvernement provisoire était censurée sans ménagemens. Le gouvernement provisoire, disait-on, était infidèle à son origine et violait ouvertement son mandat. Né des barricades et institué seulement pour le maintien de l’ordre, il usurpait audacieusement la dictature, et s’arrogeait des droits que seule pouvait exercer une assemblée nationale. Si la majorité était pour l’union, pourquoi l’empêcher de manifester sa volonté par un vote raisonné et délibéré publiquement ? Dans le cas contraire, la formalité des registres était une dérision. En ceci, il nous semble que les républicains n’entraient pas dans le vrai de la situation. Deux questions étaient en présence : celle de la fusion des états du nord de l’Italie pour présenter à l’Autriche un front de bataille compacte et redoutable, et celle d’une représentation nationale destinée à régler les rapports qui allaient s’établir entre tes divers états agglomérés et les droits réciproques du souverain et de ses nouveaux