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n’avait jamais cessé d’être. Les Italiens, cela tient à l’habitude de l’oppression et de l’esclavage, ajoutent foi à la trahison avec une déplorable facilité. N’ayant point encore appris à avoir confiance en eux-mêmes, comment en auraient-ils dans les autres ? Aussi les voit-on au moindre accident s’en prendre à tout ce qui les entoure et s’accuser réciproquement. Nulle part les transitions ne sont aussi brusques que dans ces imaginations mobiles. Le général Statella, qui, dit-on, ne retournait à Naples que pour obtenir du roi Ferdinand le rappel de l’ordre de retraite donné par ce prince à son armée, a failli être brûlé vif à Florence. Quant aux troupes napolitaines, l’obéissance aveugle à leur souverain l’a emporté sur un sentiment national qu’elles ne comprenaient pas et sur leur courage, qui reste une chose fort problématique. On leur a persuadé que leurs officiers les faisaient marcher pour les ennemis de leur roi, et elles ont fait volte-face, sourdes à toutes les exhortations et à toutes les prières de leurs chefs. L’un d’eux, le colonel Lahalle, s’est brûlé la cervelle de désespoir à la tête de son régiment. Les Napolitains ont passé outre, et se sont dirigés en colonnes serrées et à marches forcées vers leurs frontières, en suivant la route de Ravenne qui longe l’Adriatique, poursuivis par l’exécration des Romagnols, qui, il y a peu de jours, les recevaient de ville en ville sous des arcs-de-triomphe.

L’armée piémontaise seule, fortement organisée, commandée par de vieux officiers aguerris dans les campagnes de l’empire et par une jeune noblesse exercée à la pratique de toutes les vertus militaires, s’est montrée au-dessus de tout éloge. Les combats de Pastrengo, de Bussolengo et de Goïto, la prise de Peschiera, ont prouvé sa supériorité décidée à nombre égal sur les Autrichiens. Il est probable que le roi Charles-Albert n’aura pas besoin, pour terminer la guerre, de tirer de son royaume de nouveaux renforts qui seraient du reste promptement sur pied, grace à l’excellent système de recrutement usité en Piémont, qui permet, en appelant sous les drapeaux les bataillons provinciaux de l’armée de réserve, de porter en très peu de temps l’effectif à 150,000 hommes. L’organisation militaire du Piémont est à celle des autres états italiens ce qu’est son organisation administrative et politique. C’est dire assez que ce royaume était destiné à les absorber en vertu de la loi qui reproduit dans le monde moral les mêmes phénomènes que dans le monde physique.

Ainsi la guerre de l’indépendance tourne à souhait pour le roi de Sardaigne. Tout jusqu’à présent porte à croire qu’elle marche à un prompt dénoûment, et elle semble ne rencontrer que juste assez d’obstacles pour faire sentir aux Italiens le besoin de se serrer autour de Charles-Albert. On a même accusé ce prince de tenir en quelque sorte la victoire en suspens jusqu’à ce que les provinces lombardes et vénitiennes se fussent données à lui, et de marcher à l’ennemi ou de se retirer dans sa tente suivant que les scrutins ouverts dans les communes pour lui conférer la couronne d’Italie avaient l’air de tourner en sa faveur ou de tromper ses espérances. Il est difficile de croire à de semblables calculs sous le feu de l’ennemi. Un pareil jeu aurait pu coûter cher à Charles-Albert. La lenteur des premières opérations de l’armée piémontaise a, nous en convenons, donné lieu à des bruits fâcheux ; mais on oubliait, selon nous, trop facilement que les cinq journées de Milan n’avaient pas tellement décimé et démoralisé les troupes autrichiennes, que le maréchal Radetzki n’eût pu encore rallier près de 40,000 hommes, et que les Piémontais, entrés précipitamment en Lombardie, devaient se trouver arrêtés sur la ligne du Mincio, en face des trois