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goûter la conduite qu’on donne aux choses ; mais le mérite de leur résistance, ce sera long-temps encore d’être aussi sage, aussi froide qu’elle doit être décidée.

Vis-à-vis de cette chambre ainsi renouvelée, vis-à-vis de cette brusque et malheureuse scission dont les élections du 4 juin ont démontré la possibilité dans la capitale, que dit, que fait, que devient le comité directeur de la république ? Nous avons, quoi qu’il nous en coûte, à nous exprimer en toute franchise sur la position présente de M. de Lamartine. Nous suivons scrupuleusement le mouvement qui s’accomplit à son sujet dans l’opinion. Nous regrettons d’en être à confesser que ce mouvement qu’il pouvait dominer, qui le portait en quelque sorte au pinacle, se retire maintenant et le laisse retomber de bien haut. Nous avons raconté, nous avons éprouvé nous-mêmes cette impression pénible produite dans le public par l’inexplicable alliance que M. de Lamartine avait affichée, lorsque l’assemblée nationale forma la commission exécutive. Cette impression s’est depuis constamment aggravée, quand on a vu que de cette alliance il résultait au sein de la commission le même tiraillement, le même empêchement de rien accomplir qui avait si souvent annulé l’action du gouvernement provisoire. Il est un cri qui devrait bien aller jusqu’aux oreilles de M. de Lamartine, c’est le cri de l’étonnement, de l’affliction, qui saisit tout le monde en le voyant perdre à plaisir cette place magnifique qu’il avait dans la France de février. Il était si simple pour lui de s’appuyer sur les gens raisonnables, sur les amis éclairés de l’état, sur les vrais et sages représentans des intérêts sociaux. C’est à ceux-là cependant qu’il a tourné le dos au plus vite, c’est à cette force honnête et sûre qu’il a comme manqué de parole en quêtant ailleurs ces forces incohérentes et indisciplinées que méprisent d’ordinaire les grands fondateurs, parce qu’elles appartiennent de droit aux agitateurs vulgaires. On croirait qu’il met de l’amour-propre à dresser sa statue sur un piédestal chancelant. Il y a des gens irrités qui jurent que M. de Lamartine n’est pas seulement un sauveur inspiré, mais aussi un calculateur qui, calculant toujours, calcule quelquefois mal ; ces gens-là prétendent que M. de Lamartine a voulu se rendre nécessaire en gardant, en accroissant un entourage dont il dût être l’unique palliatif, en s’associant des instrumens dont personne que lui ne pût corriger l’odieux, en menaçant toujours son pays d’un orage qu’il ne dépendait que de lui de lâcher ou de contenir. Ce qu’il y a de faux sans doute dans ces imputations violentes, c’est l’intention machiavélique qu’elles supposent ; ce qu’il y a de vrai, c’est que la puissante imagination de M. de Lamartine se plait peut-être involontairement à provoquer les tempêtes pour jouir en elle-même de l’orgueil qu’elle sent à les dompter, c’est qu’une vie précipitée comme celle-là dans un courant d’émotions profondes ne s’en rassasie pas, et se tourmente à les multiplier pour l’honneur d’en sortir victorieuse. Ce sont là malheureusement des passe-temps de prince qui ne conviennent guère au berceau d’une république. M. de Lamartine disait avant-hier qu’il avait conspiré avec certains hommes, « comme le paratonnerre conspire avec les nuages. » De même que tous les mots qui viennent aux gens d’esprit à défaut d’argumens, ce mot-là était une naïveté ; M. de Lamartine y révélait son cœur : il a trop d’agrément à jouer avec la foudre. Le Jupiter de la fable était aussi un assembleur de nuages ; mais il lui suffisait de souffler dessus pour les dissiper. M. de Lamartine devrait bien se dépêcher d’en faire autant.

Sa situation personnelle, et avec la sienne celle de tous ses collègues, se tendent en effet beaucoup. Hier, l’assemblée les a rudement abandonnés dans la