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amoindrirait l’intensité des brumes qui dérobent souvent aux regards du navigateur la vue de la côte et jusqu’à la lumière du phare ; l’autre faciliterait le placement des produits de la pêche et la surveillance d’une plage où les naufrages sont si fréquens. L’attérage de la Somme est, du reste, traité par l’administration du département avec une indifférence marquée. Il suffirait de quelques bonnes communications avec l’intérieur pour en vivifier les petits ports, et l’on n’arrive à Cayeux, au Crotoy et au Hourdel que par d’affreuses fondrières, à Saint-Valery que par des routes départementales à peine médiocres.

III.


A deux lieues de Cayeux est le fond de l’angle que forme la côte entre le Pas-de-Calais et la Seine. Sur la ligne du nord s’étendent les terres d’alluvion ; sur celle du sud se dressent les falaises. Par les vents du large, la mer est affreuse dans ce rentrant, et le bourg d’Ault, qui s’aperçoit dans la première échancrure du terrain crayeux, présente un exemple frappant de la violence des coups de mer auxquels auraient été exposés les ouvrages projetés par MM. Coquart et de Lamblardie. En 1698, il y avait à Ault 24 bateaux pêcheurs, dont 14 de 20 tonneaux[1]. De 1750 à 1780, la mer a rasé la crique qui les abritait, la plage et plusieurs rues du village lui-même ; il est aujourd’hui niché dans une falaise coupée à pic et n’a plus une barque ni un matelot.

La vallée de la Bresle forme, après Ault, le deuxième créneau qui s’ouvre dans les falaises ; le fond en est masqué par un énorme banc de galets grisâtres ; de la mer, on n’aperçoit de vie et de mouvement qu’au pied et sur la pente de la falaise occidentale, où sont groupés les maisons et la pittoresque église du Tréport. La vallée conserve une largeur d’un mille jusqu’au mamelon sur lequel sont assis la ville et le château d’Eu ; au-delà, elle se prolonge à quinze lieues au sud-est, comme un sillon creusé dans le plateau crayeux.

Eu tient plus de place dans l’histoire de France que sur la carte : aucune ville de ce rang n’a plus souffert et plus profité de la fortune des têtes illustres qui, depuis huit siècles, se sont succédé dans ses murs ou dans la possession de son comté. Placée au foyer même des guerres acharnées dont cette partie de la France a si long-temps été le théâtre, la ville d’Eu recevait les contre-coups de toutes les secousses qui frappaient le pays. Plus d’une fois, notamment le jour (18 juillet 1475) où Louis XI la fit brûler pour empêcher les Anglais de s’y établir, elle fut victime des conflits dans lesquels était engagée

  1. Mémoire sur la Picardie, par M. Bignon, intendant. (B.N., manuscrit.)